So cold but so young

par arbobo | imprimer | 21oct 2006
Quand on prend une claque à l’écoute d’un disque, et qu’on le redécouvre encore meilleur à mesure qu’on l’écoute, on sait qu’on tient une pépite. Il est rarissime qu’un disque fasse un tel effet.

En l’occurence c’est de compilation, mais pas n’importe lesquelles. D’abord, So young but so cold, pour commencer par le plus simple, parce qu’elle émane d’un excellent label français, Tigersushi. Ensuite, parce que la sélection est signée Volga project, nom barbare derrière se cachent en réalité deux cadors : Marc Collin (de Ollano, et coeur du projet Nouvelle Vague) et l’inévitable et grandiose Ivan Smagghe (brillant DJ et ancien de radio Nova).

Mais surtout, on tient un grand disque parce qu’il réunit des titres importants. Au tournant des années 1980, la musique populaire française n’est pas d’un très bon niveau, et les groupes de qualité, qu’ils soient rock ou électronique, ont un public dévoué mais confidentiel. Ces groupes, on en retrouve le versant électronique sur ce disque que j’ai déjà évoqué à diverses reprises. En dehors de Jacno, aucun nom véritablement connu n’émerge de la sélection, mais on entend rapidement que ces morceaux ont compté. Par leur influnce à long terme. Parce qu’ils étaient en prise direct, sans retard, sur l’Angleterre. Parfois en avance comme Jacno.

Les notes de pochette décrivent en quelques mots chaque artiste et ses avatars. Sobre mais diablement utile.

Dans un milieu de fouilleurs-trouveurs, des noms comme celui de Charles de Goal sonnaient comme des graal inaccessibles, à moins de débourser des fortunes dans les marchés de collectionneurs de vinyls. De micro-légendes ont permis à des noms comme le sien de ne pas sombrer totalement dans l’oubli. Et Collin et Smagghe leur donnent, enfin, le lustre qu’ils méritent. Reconnaissance tardive. Parmi ces artistes, le bassiste (français) des Stranglers Jean-Jacques Burnel, le visionnaire Jacno, Bernard Szajner avec et sans son groupe dont j’ai déjà parlé les Hypothetical prophets, et d’autres tout aussi obscurs à l’exception peut-être de Charles de Goal qui a sa réputation underground.

Comme souvent, effectivement, a reconnaissance arrive bien après le split, ces groupes sont des antiquités pour les artistes eux-mêmes, qui auront bien du mal à vous dire sur quelle étagère ou dans quel carton traine le 45 tours dont une face ou l’autre figure sur cette compilation. Car ces titres ont plus de 20 ans, parfois plus de 25 ans. La pochette annonce en effet “underground French music 1977-1983″.
On n’est ici dans l’histoire, pas même l’antiquité mais plutôt le moyen-âge de l’électro, pour la préhistoire des musiques électroniques il faudrait remonter à un siècle de nous, aux débuts de l’ère électrique. Mais ce sera l’objet d’une autre note, un jour, si tout va bien.

A l’écoute de ces 16 titres, on s’aperçoit que la plupart n’ont guère vieilli. Dès les premières notes on devine de quelle époque ils datent, mais c’est plus une information qu’autre chose, cela caractérise un style, ce n’est en rien le signe d’une obsolescence. Car ces morceaux sont tout sauf vieillots ou dépassés. Ils sont magnifiques et quiconque aime un peu Stereolab ou l’électro actuelle s’apercevra bien vite que leurs prédécesseurs n’avaient rien à leur envier.

10 ans avant cette compilation, une autre appelée Frenchy but chic avait ouvert la voie.
C’est toujours pareil. Celui qui commence a le mérite d’ouvrir la voie, mais généralement c’est plus tard qu’on exhume les introuvables les plus excitants. Là encore le titre est inspiré d’un morceau très new yorkais, So chic, des Electric girls. La compil invite à la découverte. Faire entendre, en 1994, l’idée que la France a eu un underground electro-pop de grande qualité durant les années 80, c’est audacieux. Il y a quelque chose d’une tentative de réhabilitation. Alors on dose un mélange de titres et noms connus et inconnus. Jacno est évidemment présent, dès l’ouverture avec son imparable rectangle.
Figure aussi en bonne place le titre qu’il a composé pour Lio, Amoureux solitaires.
Suicide Romeo, peut-être influencés par Lizzy Mercier Descloux qui figure aussi dans la tracklist, propose une version frenchy des Talking heads. Ce cocktail pop et funk, malheureusement désservi par une voix très insuffisante, n’a pas eu beaucoup d’équivalent chez nous. Abstraction faite des paroles, on pourrait être sur une compil no wave. Evidemment, quand Lizzy arrive bel et bien au morceau suivant avec son Fire, on passe quelques dizaines de crans au-dessus. Il faudra que je reparle un jour de LMD, artiste météorique et importante que peu de gens de moins  de 40 ans connaissent.

Outre Lizzy et Jacno, on trouve d’autres noms très connus sur Frenchy but chic. Un Jacno omniprésent, ouvrant et fermant le ban en solo, composant pour Lio, et présent encore par son duo bien connu avec Elli. On reste en famille puisque Elli Medeiros pose également sa voix sur un titre de son premier groupe, le prototype punk-rock français Stinky toys. Les Rita Mitsouko, Taxi Girl et Etienne Daho sont aussi au générique.
On a donc des recoupements avec So cold, par Jacno et aussi par Disco rough de Mathématiques modernes (dont le producteur était… Jacno).
La différence de ton avec So cold est toutefois ailleurs. Frenchy est bien plus funky, et c’est peut-être ce qui explique des titres plus connus car plus accessibles. Comme le Electric Sylvie de Modern Guy, cousin éloigné de Paris-latino en plus exigeant et au funk ô combien plus carré.

Alors, passée la première déception de reconnaître trop de noms sur cette compil, sa cohérence apparait, et avec elle sa différence. Voilà donc 2 compilations qui se complètent admirablement, et finalement les années 80 françaises se sont montrées suffisamment riches pour alimenter 2 angles d’écoute différents.



Comments

1 Commentaire


  1. 1 arbobo on mai 15, 2010 13:51

    vidage de l’armoire et exhumation des 45T parce qu’il me semble avoir un disque des “Rats” quelquepart. Je redécouvre avec surprise Lizzy Mercier Descloux, pas les Rats, et des horreurs /j’ai acheté ça, moi ?!!! :-(
    de toute façon, pendant que ça jouait new wave, moi j’écoutais Gene Vincent, Buddy Holly, Wanda Jackson… pas du totu à la page.

    Et maintenant c’est le foutoir à cause de ton billet. ah ben bravo, bien joué ! Merci !
    Commentaire n°1 posté par rififi le 21/10/2006 à 20h02

    Je suis aussi issu d’un premier jus rock’n'roll et rockabilly à cette époque, avec du ska aussi. Ca vient que quand j’étais gamin (6-8 ans) je me roulais par terre sur les disques de rnr que me passaient mes oncles.
    10 ans et je m’ouvre à plus de musique : j’approfondis donc ce filon, et par l’influence de mes ainées de 4 et 5 ans de plus, la musique progressive, Pink Floyd en tête. Et cette phrase, définitive, sortie par mon frès un jour devant la télé : la new wave c’est de la merde. J’ai au moins perdu 4-5 ans au finale.
    Qu m’a remis sur la piste ? les Ritsouko en 85 puis 86. Résultat, j’ai copé à la discothèque du coin Rectangle (Jacno) et j’ai acheté quelques 45t que j’avais laissé sur le côté alors que ça m’intrigait, dont les Sparks, Daho (tombé pour la France m’a tué), OMD (en 82, le premier LP qu’on m’a offert, ma marraine, à ma demande, sinon c’eut été sûrement du Cloclo qu’elle adorait). Français ou anglais, je m’en foutais. Mais ce sont quand même cette vague underground française qui m’a permis de revenir à ce secteur qui m’avait intrigué petit. Réécoutez le premier Rita, un chef d’oeuvre qui fait le bilan electro et funky des deux compiles et de cette période : Aïe kyptonite miss splein, La jalousie, Yaktangan, Dans la steppe… sans parler De Marcia, que je vous invite à réécouter plusieurs fois d’affilée et d’oublier tout, vous verrez la synthèse absolue, la révolution, cette scène là au climax.
    Cette découverte est arrivée trop tard toutefois pour moi, dommage de ne pas avoir été élevé d’abord à ça. Les anglais ont finalement facilement pris le dessus dans mes écoutes (sauf Rita), et surtout la techno (enfin ce qu’on appelait la techno à l’époque) qui même francophone (belge souvent) chantait anglais. Ou allemand : DM, Front 242, Einstu (Einstürzende Neubauten), DAF, Nitzer Ebb, Borghesia, A split second, Laibach… Bien entendu, comme pour la scène française, il y a des nuances : electropop, electro body music (EBM), indus… J’avais quand même aussi été préparé pour le côté synthétique par JM Jarre et l’abus de synthé chez PF, Yes, genesis…
    Il y a eu aussi la scène indépendante française des milieux 80 qui a mélé le punk et la boîte à rythme avec des hommages appuyés des larrons de Boucherie et autres pour leurs ancètres cold wave français.
    L’autre volet, le dark wave, j’ai resisté 7 ans (!) pour m’y jeter finalement comme si cela avait toujours été ma musique d’origine : Cure, Cocteau twins et autres Anne Clark (que j’ai écoutée dès 86, ah, une exception finalement) n’ont pourtant pas eu leurs équivalents dans la scène française (ou si peu), vous le verrez en écoutant les compiles.

    En tout cas, pour avoir écouter les compiles, elles sont effectivement vachement bien foutues, et je les conseille pour faire ensuite de super (re)découvertes.

    PS : Frenchy but chic est un titre tiré d’une chronique dans Rock’n'Folk des années fin 70 début 80 qui parlait de cette scène française. Est-ce l’origine ?

    49m
    Commentaire n°2 posté par Christophe le 21/10/2006 à 23h36

    rififi, je me marre :-)

    mais tu sais, les stinky toys, par exemple, sont pas new wave, ils ont même plutot une étiquette punk (un brin excessive je trouve).
    le mot “chic” de la compil explique l’absence d’une certaine scène rock, comme les bordelais Strychnine, qui ne sont pas cités comme ancêtres de Noir Désir par hasard.
    En revanche on peut, et j’aurais, s’étonner de ne pas trouver Marquis de sade sur aucune de ces 2 compiles. Peut-être une question de droits, étant donné que le groupe mérite sa place par la qualité et par le positionnement, qui pourrait convenir aux 2 disques.

    Autre absent, dont je parlerai un jour et qui a déjà été évoqué par des confrères blogueur, le très étonnant et très bon “Résonnance”. Merci christophe, de rappeler que Etienne Daho, qui traine aujourd’hui une image de chanteur propret pour ménagère de moins de 50 ans, a représenté beaucoup dans les années 80, et a fait partie des artistes qui ont tiré la scène française vers le haut en proposant vraiment du bon (à l’époque, à vue d’oreille, on devait être en pleine période produite par arnold turboust, dont on oublira le single sorti en solo).
    Commentaire n°3 posté par arbobo le 22/10/2006 à 02h04

    mmmm, pas d’équivalent de la dark?
    en fait je vois pas telelment de différence entre cold et dark wave, mais ce que tu dis m’étonne un brin, tu as So young but so cold?
    Commentaire n°4 posté par arbobo le 22/10/2006 à 02h05

    Je crois que la coldwave est une invention française, les anglais emploient darkwave à la place.

    Sinon, bravo Arbobo pour votre post. J’avais la compil, mais je ne savais pas qui était ce mystérieux “volga” ;-)

    A signaler, également, un DVD que je vais bien finir par me procurer si les dieux de Priceminister et Paypal arrêtent de me faire faux bond :
    RVB~TRANSFERT
    Images de la scène indépendante Française 1978-1991
    http://www.optical-sound.com/
    Plusieurs groupes de So Young but so chic y figurent aussi.

    Ah oui, et puis la réédition des Metal Boys chez Seventeen Recods est terrible (les Metal Boys, faut-il le rappeler, était un avatar de Metal Urbain, qui sortent un nouvel album ces jours-ci).
    Commentaire n°5 posté par Thomas B. le 26/10/2006 à 11h49

    wah !
    ça fait envie thomas :-)

    j’en profite pour inciter les lecteurs de ce blog à aller sur celui de Thomas Bécard, où il poste régulièrement des playlists de vidéos en ligne.
    Précieux.
    Commentaire n°6 posté par arbobo le 26/10/2006 à 12h02

    Des playlists vidéo en ligne ? comme celles qu’on aura bientôt ici ? cool…

    wx4
    Commentaire n°7 posté par Christophe le 26/10/2006 à 13h42

Name

Email

Site web

Commenter

XHTML: Balises possibles: <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>


Subscribe

Tags

Archives

Par Date

Par categorie