Table dance (les nouveaux instruments numériques)

par arbobo | imprimer | 29août 2007

Il était pas mal ce concert de Björk à Rock en Seine, même quand on n’est pas spécialement fan comme moi.
Et puis elle a de sacré trouvailles.

En particulier, elle utilise sur scène un instrument  tout nouveau, un truc délire  dont  ses concerts assurent d’ores et déjà une belle pub. D’ailleurs Thomas Bécard de Télérama a dégainé avant moi. Du coup il me reste l’obligation d’approfondir, si je ne veux pas refaire exactement le même billet. Ce qui fait de vous de petits veinards ;op

J’ouvre ici une mini-série d’articles sur les nouveaux supports dans la musique, et les changements introduits par la technologie. Curieusement, l’an dernier c’est à la même époque que je découvrais  jeune chercheur qui crée des instruments innovants lui aussi, à base d’encres conductrices et de capteurs tactiles.
Là, avec la reactable, fruit d’un projet de recherche de l’université de Barcelone, la notion d’instrument disparait, en tant que telle.
C’est beau à voir, c’est rigolo à utiliser, et ça fait un son électro violent et super crade parfait pour le dancefloor de l’époque. D’abord regardez cette démo proposée par les concepteurs. La description de base de la reactable tient en quelques mots :  une table en verre, en dessous un projecteur et une  caméra, et sur la table des “tangibles” à disposer comme on veut pour faire des sons. Pour moi cette description  ressemble à un mode d’emploi Ikéa. Et encore, je vous parle de la version en suomi traduite du néerlandais par un chypriote dyslexique.  Limpide.

La reactable est cool, elle est suffisamment large pour qu’on puisse la faire fonctionner à plusieurs en même temps. Et elle est belle. A la limite c’est même son principal avantage, elle est un atout scénique majeur. Regardez ça avant qu’on passe à la suite.

Vous avez d’autres démos et live ici. Contrairement à d’autres consoles comme le Lemur également utilisé par Björk en concert (et par Daft punk ou… Kraftwerk), le déclenchement ne se fait pas par contact avec le verre. Ou plutôt, c’est bien le contact qui déclenche, et pourtant il n’est pas tactile. La table est en verre tout ce qu’il y a de plus standard, pas comme les écrans tactiles bourrés de technologie. Ici la technologie est dessous, et plus encore dans le logiciel, reacTIVision.
Et ce logiciel, il est téléchargeable, avec de l’imagination et de la débrouille vous pouvez créer  et customiser votre propre reactable ou équivalent. Vous avez des instructions ici.
Les “tangibles” peuvent aussi être fabriqué chez soi, grâce au kit téléchargeable. La caméra filme des formes précises que le logiciel reconnait. Avec le kit, on peut imprimer ces formes, les “marqueurs fiduciaires”, et les fixer sur l’objet de son choix. Vu l’activité du forum des reactivistes, ils sont pas mal à en avoir fabriqué une grâce à ces outils. La reactable est un outil sonore collaboratif et ses composants en open source.

La caméra du logiciel est bien dessous. Les films montrés ici sont pris par dessus, mais c’est simplement pour montrer comment ça se passe, ou pour afficher sur écran en concert.

La reactable fonctionne depuis la fin 2006. Mais elle n’est qu’une forme possible d’utilisation des tangibles. On peut par exemple calibrer le logiciel pour qu’il reconnaisse des formes présentes potentiellement dans des objets ordinaires, et on peut alors imaginer utiliser la table avec ce qui nous tombe sous la main. Mais ça, ça existe déjà. C’est aussi en quelque sorte le principe de scrapple, une longue table destinée à la production de sons à partir de formes non-répertoriées. Le résultat est donc aléatoire pour l’utilisateur, on sort de l’instrument de musique au sens habituel, dont la pratique permet de produire un son ou un effet voulu au moment voulu. Mais la piste est tout aussi passionnante, et l’installation assez monumentale esthétiquement frappante.

Une partie du travail est identique à la conception d’un clavier synthétiseur ou une boîte à effets. Car une fois les formes reconnues, il faut leur associer un son intéressant. Ou une fonction intéressante. Car certains tangibles, comme vous le voyez dans la démo, ne produisent pas le son mais un effet. Effet de modulation par exemple, ou l’effet radar que j’aime beaucoup. A chaque passage du faisceau, le tangible “percuté” par le rayon est audible. Le rayon et la fréquence de balayage sont réglables. Car quasiment tout est réglable sur la reactable, l’intensité, la modulation, le tempo.

La chasse aux instruments est lancée depuis longtemps, elle n’a jamais cessé à vrai dire, j’aurai l’occasion d’y revenir. L’ère électronique s’est d’abord ouverte par l’âge des bandes magnétiques, qui demandaient un gros travail de studio (que Pierre Schaeffer ou Steve Reich firent remarquablement). Avec la miniaturisation, les instruments devinrent portatifs, et progressivement susceptibles d’être utilisés en concert, à commencer par les 2 stars fabriquées par Roland, la console de basses 808 (dont le groupe 808 state tient son nom), et la fameuse groovebox 303. Ajoutez des boîtes à rythmes à pads tactiles, puis les samplers, vous avez une bonne panoplie. Il en manque un, le synthétiseur. Dans les esprits il est associé au clavier (Korg ou Yamaha, de préférence), alors qu’un synthétiseur peut prendre toutes les formes que la technique autorise, y compris pour synthétiser des basses ou des percus.
Le synthétiseur, comme son nom l’indique, est avant tout le bidule qui produit un son à partir d’instructions (en général ils ont une banque de sons intégrée, mais c’est juste une aide pour toucher un plus large public).

Reste à savoir comment on commande le synthétiseur, et ce qu’il produit. Il peut produire des sons, mais les signaux reçus depuis les commandes peuvent être transformés aussi bien en images ou guidage de robots. Là, on voit tout de suite que la reactable, dont l’aspect visuel est un atout maître, est destinée à produire du son, sans quoi l’oeil est distrait et on perd tout avantage comparatif.
Le Lemur me semble plus adapté à un usage polyvalent (son, lumière, vidéo, voire commande de robot). Les variantes formelles et les utilisations de tables intelligentes sont potentiellement variées, en témoigne cette liste impressionnante qui répertorie plus de 70 tables interactives !
Le centre de recherche barcelonais recense également d’autres utilisations tactiles, notamment avec des pads. Il faut vraiment que vous preniez un peu de temps pour voir cette page.

La reactable est facile à utiliser, et on peut s’y mettre à 3, 4, 5, ce qui promet tout de même un résultat saturé de sons et difficile à coordonner, mais pourquoi pas.
Tout de même, figurez-vous que la reactable a d’ores et déjà un handicap sérieux (ou l’audiopad, quasiment pareil). C’est gros, à l’heure actuelle. Même en miniaturisant tout le reste, il faudrait se trimbaler le cercle de verre d’1 mètre de diamètre. Comparé à une groovebox, c’est lourdingue. L’avenir est certainement à des variantes comme celles en lien plus haut et ici, des installations légères nécessitant un minimum d’espace et de matos. Un capteur relié à l’ordinateur, un logiciel installé, et des pads utilisables n’importe où, sur la moquette ou la table du salon, voilà sans doute vers quoi on s’achemine. La détection de mouvements par caméra est très au point depuis un moment, elle permet de suivre les footballers joueur par joueur avec des statistiques précises comme le nombre de kilomètres parcourus pendant le match, ou permet aux victimes du locked in syndrome d’écrire sur un ordinateur en fixant les lettres d’un clavier virtuel. De telles installations sont même devenues suffisamment légères pour qu’on imagine leur transposition en très peu de temps. Au lieu de fixer des lettres, l’oeil activerait des commandes sonores, de la même manière que les “tangibles”. Ou inversement, on bouge le corps et la machine transforme ça en sons. Ca existe déjà, ça s’appelle bubbles ou cyclops. La machine suit les mouvements des bras, auxquels on a attribué des valeurs prédéfinies. On joue de la musique sans aucun contact ni même ondes magnétiques. Eric fait d’autres trucs assez marrants, j’adore son idée de sonic banana (ce nom est mortel !).

Les possibilités sont infinies, et de nombreux labos dans le monde entier en expérimentent chacun leur version. La reactable oblige à saisir un tangible à la fois, même à 2 joueurs on n’a que 4 mains, et l’espace nécessaire pour les disposer reste limité. Malgré le spectaculaire, et je vous garantis que l’effet est réellement énorme en concert, la reactable n’offre finalement que des possibilités musicales réduites (avec des réglages fins, tout de même). Quand je dis limitées, ça ne veut pas dire nulles, mais je pense qu’il faudra encore développer l’engin si on veut éviter qu’il s’essoufle.
Le Lemur de Jazzmutant et son cousin Dexter, avec ses différents modes et la possibilité d’activer 1 commande par doigt, offre certainement plus de possibilités à long terme. Et il est déjà diablement beau, le même concert de Björk l’a démontré. Encore cher, il a toutefois l’avantage d’être commercialisé. Plus difficile d’en fabriquer un soi-même, mais musicalement c’est tout de même autre chose.
Les tables digitales (au double sens du mot) peuvent être magnifiques. A ce jeu là, et loin du bleu criard de la reactable, le tenori-on tient la corde avec sa limpide et blanche beauté toute japonaise. L’effet visuel est splendide, et peut rappeler celui de la tableportation.

L’excellent blog ohmwork m’a également permis de découvrir le monome, qui sous des airs de drumpad classique est en réalité une belle et très complète console de synthèse. Et encore une fois c’est un projet ouvert, avec des kits à commander et customisables (le tenori on ne l’est pas, comme souvent les créations de designers). L’utilisation des capteurs de mouvement est franchement marrante.

Alors qu’Apple était en pointe sur le projet reactable, microsoft organise déjà sa version ludique et grand public, la table surface. qui applique au grand public un système existant. Préparez vous à en voir au pied des sapins très bientôt. Surface ne recoupe qu’en partie reactable, mais en un sens il va plus loin. C’est un ordinateur d’un nouveau genre, assez tripant il faut bien dire.

Vous l’aurez compris, si la reactable a autant de succès (des dizaines de blogs en parlent cet été), c’est avant tout grâce à la notoriété de Björk, car si elle avait jeté son dévolu sur un autre des projets évoqués ici et dans les liens, la reactable ferait moins parler d’elle. Merci en tout cas à elle de continuer à fourrer son nez dans les nouveautés, et de nous les faire découvrir.

Dans quelques jours, je vous parlerai d’un instrument mésestimé d’il y a 25 ans. On pourra comparer :-)



Comments

1 Commentaire


  1. 1 arbobo on septembre 27, 2009 20:14

    Hmm… Comment dire ?… … … J’VEUX LES MEMES !!!!!! “Dans quelques jours, je vous parlerai d’un instrument mésestimé d’il y a 25 ans. On pourra comparer :-)” Chouette : la guitare clavier ! Sinon, sur les synthés, t’es azbine mon pauvre Arbidouille. Les prophètes (huhu, jeu de mot nerd) préfèrent les potards aux lasers (http://www.pop-hits.net/article-5030392.html ou en lien dirèque ci-dessous) cg6
    Commentaire n° 1 posté par Christophe le 29/08/2007 à 11h32

    celui-ci je savais qu’il te plairait ^^

    j’en connais un qui va se fabriquer un reactable d’ici peu !
    Commentaire n° 2 posté par arbobo le 29/08/2007 à 12h16

    Oui mais je suis plus doué pour le bois que l’électronique, ça va sonner bizarre ;o) Pour revenir au sujet, ayant moi-même quelques embarras physiques causés par l’usage intensif de l’informatique (on appelle ça des Troubles Musculo-Squelettiques, c’est assez douloureux, et je ne saurais que trop vous conseiller à avoir des clavier et souris complémentaires à votre portable, un tapis de souris avec une butée en mousse ou gélatine pour poser le poignet, et idéalement un coussinet en gel ou mousse devant le clavier pour reposer les poignets lors de la frappe, et je clos ici Le magazine de la santé des nerds), donc je disais que j’attends avec impatience la commercialisation de périphériques informatiques basés sur des mouvements captés (mains, doigts, yeux…) plutôt que par frappe (sur clavier ou clique) ou le déplacement d’un objet sur une surface pas toujours pratique (souris, pad…). Le tout complémentaire de la reconnaissance vocale (Dragon est complètement au point et pas cher, n’hésitez pas et ça gère traitement de texte, mail etc.). Sinon, je repasse une commance à tout un chacun : je suis à la recherche d’un progfesseur Simon en état de marche, gratos ou pas cher ;o) C’était une sorte de reactable avant l’heure (ici un jeu en flash : http://www.jeux-internet.com/games.php?titre=simon et là une photo de l’objet que je convoite et que vous aviez peut-être oublié dans le grenier de vos parents et ce serait dommage qu’il s’enmpoussière alors qu’il pourrait faire le bonheur d’un pauv’ petit nerd : http://blogsimages.skynet.be/images_v2/002/525/891/20061103/dyn002_original_302_232_pjpeg_2525891_98c04196c5e97d1d43bd20a3a2596619.jpg) fsc
    Commentaire n° 3 posté par Christophe le 29/08/2007 à 12h41

    À tout seigneur tout honneur, ça devrait t’intéresser : http://www.ircam.fr/305.html?&tx_ircam_pi4showUid=23&cHash=b4bbb92160 http://www.ircam.fr/288.html?&tx_ircam_pi2showUid=23&cHash=91f6f28fb5 etc, etc… Je crois bien que c’est à l’Ircam qu’ils ont inventé les premières machines qui font de la musique en dessinant sur une surface, par exemple. Ce qui se développe beaucoup aussi c’est de trouver des moyens de “prolonger” les instruments déjà existants, avec du traitement du signal en temps réel. Mais bon, évidemment, c’est pas forcément pour le dancefloor… :o)
    Commentaire n° 4 posté par Djac Baweur le 29/08/2007 à 12h45

    dancefloor, pourquoi pas.
    tout dépend en quoi tu convertis le signal, on en revient donc au synthétiseur.
    d’un côté il y a le travail sur les commandes (dans les cas présentés, soit tactile, soit par pression, soit par détection visuelle),
    de l’autre il y a la fabrication de sons (en temps réel si possible, mais pas forcément).

    merci des liens djac !
    Commentaire n° 5 posté par arbobo le 29/08/2007 à 12h57

    au passage, et en lien avec ton article christophe,
    la harpe laser de JM Jarre c’est pile l’illustration de ce que j’écris :
    c’est un synthétiseur, mais au lieu d’un clavier il fonctionne par interruption d’un faisceau lumineux (les “cordes” laser).

    tout est imaginable. Pour prendre ce qui vient à l’esprit, avec un microphone, un logiciel et un synthétiseur, on peut transformer les sons de quelqu’un qui parle (ou chante) en d’autres sons, ou en images. Je ne sais pas s’il y a des applications en musique, mais les commandes vocales, dont les logiciels de dicteé sont les plus perfectionnés, fonctionnent exactement de cette façon. Au lieu d’afficher sur l’écran, on peut par exemple faire du playback ultra-synchronisé. Je chante “Halleluiah” avec ma voix de casserole dans le micro, et c’est la voix de leonard cohen qui sort dans les enceintes, mais en fonction du rythme exact auquel je chante.
    Des logiciels, il me semble, sont déjà capables de produire la parole grâce à l’analyse visuelle de la bouche et du visage (mais vu la complexité de ce qui se passe dans la bouche et la gorge, et la respiration, je doute que ça puisse aboutir totalement).
    Commentaire n° 6 posté par arbobo le 29/08/2007 à 15h14

    “Je chante “Halleluiah” avec ma voix de casserole dans le micro, et c’est la voix de leonard cohen qui sort dans les enceintes, mais en fonction du rythme exact auquel je chante.”
    OMG ! C’est pile ce qu’il me faut au boulot !!
    Ahem, pardon, je le ferai plus.
    Commentaire n° 7 posté par mebahel le 29/08/2007 à 16h21

    je suis tellement toute épatationnée par les recherches et les trouvailles d’arbobo que j’en reste sans mots. je trouve ça incroyable que ce soit un logiciel en accès libre, mais ça demande surement du très très bon matos tout de même. ça serait bien s’il y avait une réactable en démo au Satis ou à la pommexpo :-)
    Commentaire n° 8 posté par rififi le 01/09/2007 à 22h08

    tiens, la blogothèque présente une vidéo de Jim O’Rourke utilisant le tenori on.
    http://www.tenori-on.co.uk/artists/jim_orourke_performance.php
    avouons-le, c’est joli, mais tellement moins spectaculaire que la reactable…
    Commentaire n° 9 posté par arbobo le 11/09/2007 à 20h14

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