Les petits papiers de Rodolphe Koehly

par arbobo | imprimer | 15nov 2006

Pendant longtemps j’ai cru que l’Ircam était un musée sonore dédié à la mémoire de Pierre Boulez. Sauf que Boulez n’est pas mort, mais si on commence à s’arrêter à des détails de ce genre on n’a pas fini. Ensuite j’ai cru que l’Ircam était un atelier géant de musicologues déjantés que quand ils causent tu comprends que dalle.

C’est exactement ça. Sauf que quand ils parlent tu comprends (enfin, “toi” oui, moi pas tout, mais je fais très bien semblant).
Cet été, un groupe de rock et un chercheur en musique ont passé des heures carrées à tester des capteurs, sous mes yeux (enfin, j’étais pas là tout le temps, non plus). Le principe est assez clair : on pose des capteurs sur des instruments, afin de pouvoir travailler les sons numériquement directement sur l’ordinateur, grâce à un logiciel développé spécialement par l’Ircam. Jusque là on avait créé des micros adaptés à chaque instrument acoustique, mais rien d’aussi sophistiqué. Rodolphe étant l’ancien guitariste du groupe Zool, il n’a pas eu de mal à les convaincre de s’enfermer une semaine dans un loft parisien pour qu’ils testent ses bidouillages. Je ferai un billet un de ces jours sur Zool, chaque chose en son temps. Avant la récré, on va déjà essayer de comprendre précisément ce que fait Rodolphe (on n’est pas couchés !).

Tout ça est bien zooli, mais ça ne vous explique pas en quoi Rodolphe Koehly est “inventeur”, comme disent ses potes même si ça le fait rougir. Un inventeur qui a tapé dans l’oeil de la Fondation de France qui co-finance ses recherches.
Ce type est ingénieur en papeterie, DONC il bosse avec l’Ircam. C’est tout de suite moins clair, vous ne trouvez pas? Moi en tout cas il m’a fallu quelques explications. L’encre contient des pigments, donc en prenant des pigments conducteurs d’électricité, on obtient une encre conductrice.
Ca, parait-il c’était déjà connu. Mais Rodolphe Koehly, lui, a imprégné du papier avec une encre conductrice. Et ça ouvre des possibilités, parce que jusqu’ici les capteurs de contact qui existent sont épais, rigides, chers à fabriquer et non recyclables. Alors que le papier est souple, léger, peut épouser n’importe quelle forme, et est recyclable. Le pied (ou toute autre partie du corps, ça s’adapte à tout…).

Reste à savoir qu’en faire. Et c’est là que ça devient marrant. La démonstration que j’ai vue au mois d’août avait des airs de rapports d’étapes. Sur un projet de 6 instruments de musique, 3 étaient en état de fonctionnement et ont permis à Zool de jouer quelques morceaux. Des instruments en phase de test mais visiblement ça ouvre des perspectives vraiment intéressantes. Description.

Le papier conducteur sert à créer des capteurs. Lorsqu’on exerce une pression, le papier conduit l’électricité et transmet donc un signal analogique (avec une durée, une intensité, une valeur quantifiable). Ce signal est ensuite converti, et donne le résultat qu’on veut. Il peut déclencher une séquence, diriger un robot, ou générer un son. Ca n’est pas si simple que ça, et l’Ircam a développé un logiciel spécial qui permet d’utiliser des instruments nouveaux pour qu’on puisse y appliquer des sons (en Midi, en l’occurrence). Le principe du capteur est déclinable sous plusieurs formes. Et déclinable à bas prix, comme cet article en lien vous l’explique, avec photos à l’appui.

Une batterie, même une batterie électronique, prend de la place. Un kick, des pieds, des toms, même si c’est nettement plus petit qu’une batterie acoustique et que c’est écoutable au casque, c’est volumineux. Jusqu’à Rodolphe Koehly. Capteur sous chaque pied, et capteur au bout de chaque baguette. Seulement quatre capteurs donc, mais pour accroître les effets et sons possibles, chaque baguette est pourvue de boutons commandables au pouce. Le signal analogique est converti et transmis à une console midi sur laquelle on sélectionne des sons dans la banque. Et ça marche! Sur quoi il tape, le batteur? sur ce qu’il veut. Avec les capteurs de ses semelles, il frappe tout simplement le sol. Avec les baguettes, il a d’abord essayé sur une table, mais le résultat était très aléatoire. Tandis que sur la main, ça sonne mieux. Révélation : plus le support frappé est souple, et plus l’impact de la baguette provoque effectivement un son. Finalement, un coussin c’est encore ce qu’il y a de mieux, comme j’ai pu le constater. On branche les capteurs sur l’ordinateur et hop, on joue sur n’importe quel oreiller.

Ce truc est génial. Et les autres instruments sont tout aussi prometteurs. Sur une guitare électrique, on a installé une bande de papier conducteur, ou plutôt plusieurs bandes parallèles, situées juste au dessus des cordes. D’un simple contact de la main, le guitariste provoque un effet. Selon la programmation, ce contact peut varier l’intensité de l’effet (tout comme une corde pressée plus haut ou plus bas donne un son différent, le point de contact sur le papier donne une valeur numérique unique différente du point situé 1 centimètre plus loin), ou appliquer un effet différent. Lorsque l’outil sera complètement développé, il sera bien plus sensible qu’une pédale d’effet et permettra avec une seule bande  de papier de remplacer plusieurs pédales.

Enfin, le gant pour voix de velours ! Le chanteur porte un gant chourré à Tom Cruise dans Minority report. A chaque doigt, un des fameux capteurs. La pression active un effet, et/ou le module. Ca ressemble de loin à ce qu’on peut voir ici. Quand on aura passé le premier stade expérimental et qu’on sera passé au wifi, il va sans dire que les musiciens et chanteurs pourront utiliser les effets en se déplaçant sur scène, alors que les pédales actuelles les obligent à revenir à un point donné pour les utiliser. Et encore, je ne fais qu’énumérer les applications les plus évidentes de cette nouvelle technologie, qui permet d’ores et déjà d’imaginer des applications nouvelles.
Si vous êtes sages, et si Rodolphe et Zool ne sont pas définitivement fâchés avec moi après cet article, peut-être me passeront-ils suffisamment de photos et de docs pour que refasse un article plus détaillé sur un instrument, avec des schémas imbittables et des powerpoint qui slident sa race. Enfin ce que j’en dis, moi….

Nous n’avons pas encore entendu le violoncelle, la basse, et la flûte à pression (oui oui, un mélange de bière pression et de flûte à champagne, on s’est bien compris). Les deux premiers ont été conçus de manière à être utilisés presque comme leur modèle. La flûte est encore plus novatrice, car le joueur ne produit pas le son en soufflant, mais en pressant le bec plus ou moins fort. Des boutons et une bande tactile complètent l’instrument.

Pourquoi faire les choses à moitié? Rodolphe le strasbourgeois a contribué à mettre sur pied, à l’université Mc Gill où il est doctorant, un orchestre numérique. Les inventions sont testées grandeur nature, en faisant réellement de la musique. Pauvres scientifiques qui s’ennuient toute la journée à faire des instruments de musique. Ca fait pitié, tiens.

Pour être concret, vous voyez l’orchestre à la con dans Star Wars (le 1er qui est sorti), qui joue dans ce bar pourri avec des créatures nullardes? Eh ben, ça ressemble pas du tout à ça.

Edit : il a aussi mis quelques recettes maisons sur ce blog.



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