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Le rock vu par Luciano Berio

par arbobo | imprimer | 19avr 2008

Vous avez dit Bério?
On savait le philosophe et musicologue Adorno sévère envers le jazz, on connait les accointances entre John Cage, Pierre Henry ou même Boulez avec la culture rock (ce dernier a fait un concert avec Zappa). Mais Luciano Berio, autre compositeur important du 20e siècle, est moins connu que les précédents. Son rapport au rock est peut-être plus étroit que les précédents.

L’un de ses articles a été publié en tiré à part. Commentaires sur le rock a été écrit en 1967. Il est particulièrement intéressant que ce texte date précisément de cette année là : 1967. Le rock est encore très jeune, mais il est déjà entré dans son ère moderne, le rock’n'roll est loin et quasiment enterré.
Le rock en est déjà à ses grandes mythologies (Stones et Beatles, Hendrix, Doors, festival de Monterey, débuts du Velvet et de Pink Floyd…). Le hard rock, le rock psychédélique, le funk, sont déjà là et pas pour du beurre. En même temps, la grande récupération commerciale post-Woodstock n’a pas encore eu lieu, ni la flambée insurrectionnelle internationale de 1968 (Allemagne, France, Etats-Unis…).

Encore jeune et inventif, le rock comme mouvement culturel n’a pas encore eu le temps de se répéter suffisamment pour ça saute aux yeux, ni de devenir une musique d’anciens jeunes, et quantité de genres ou sous-genres n’ont pas encore vu le jour. Bref, c’est un moment privilégié pour observer le rock, ce qui donne d’autant plus de valeur au point de vue de Berio.

Berio, bien qu’il soit compositeur de musique “savante”, selon le vocable en vigueur, n’a pas de mépris pour le rock. Ses critiques vont plutôt au jazz de l’époque, qui s’est perdu selon lui dans une dérive esthétisante et une course à la virtuosité. D’ailleurs on ne danse plus le jazz, qui fut d’abord une musique populaire sur laquelle on pouvait on s’éclater (Berio n’utilise pas des mots comme “s’éclater”, cependant ;-).

Je trouve excessive la sévérité de Berio sur le jazz, celui que j’écoute a surtout été gravé dans les années 1950 et 1960, et en 1967 Miles Davis, Coltrane, Gillespie, sont au top, et Thelonious Monk marque la décennie par des albums fabuleux. Passons, car l’essentiel de ces quelques pages sont consacrées au rock. En particulier des groupes comme The grateful dead ou les Mothers of invention de Zappa, que Berio mentionne plusieurs fois.

Au détour d’une phrase, Berio touche du doigt une question fondamentale. Alors que les musiciens de jazz se caractérisent par leur style de jeu, les groupes de rock se définissent par leur son. Là encore Berio est excessif et le style existe, celui d’Hendrix par exemple, extrêmement reconnaissable. Mais la place du son est inédite, au point que je regrette que Berio n’en dise pas plus sur cette question passionnante.

Il préfère réserver ses développements à deux points.
D’abord, il estime que le rock a hérité une caractéristique qui appartenait précédemment au jazz (qui l’a perdue) : l’inclusivité. Une capacité à inclure des éléments venus d’autres musiques, d’autres cultures musicales même, sans que le résultat cesse d’être du rock. L’exemple le plus évident est celui des inspirations indiennes, matérialisées par le sitar mais aussi des motifs et une construction des morceaux qui témoigne d’une imprégnation, au moins partielle, de la musique modale.
Je laisse à plus savant que moi le soin de vous exposer la musique modale, en particulier celles d’Inde. Je note en passant que Rodolphe Burger nous disait en interview le choc culturel qu’il a ressenti en travaillant avec des musiciens Ouzbeks. Lui qui vient du blues (plus que du rock, la nuance prend ici toute sa dimension), il découvrait que la musique modale pouvait s’accorder avec la sienne, et lui ouvrait des possibilités dans lesquelles il se sent étonnamment à l’aise.

Avec les recul de quatre décennies de rock supplémentaires, on s’aperçoit que le rock a poussé cette “inclusivité” jusqu’à intégrer des éléments… du jazz :-)  Ironie du sort ou bouclage de la boucle. Ainsi de groupes comme Magma né dans les années 70 et qu’on n’a jamais su classer ni en jazz ni en rock. Ainsi du piano de Vincent Artaud sur le dernier Rodolphe Burger, ou l’utilisation de la trompette sur les derniers Keren Ann, mais aussi le fameux Rock it de Herbie Hancock. Je laisse délibérément de côté le genre officielement jazz-rock, qui ne m’a jamais convaincu.

Le second point que développe Berio va raviver des polémiques familières de ce blog. Tout en appréciant beaucoup d’artistes qui ne sont pas classiquement “chanteur” (de Gainsbourg à Burger en passant par Keren Ann ou Lydia Lunch), je critique régulièrement que le rock néglige la qualité du chant (ou de la voix, ce qui est différent). En 1967, Berio remarque, avec une sorte de plaisir, que n’importe qui peut chanter du rock. Par raccourci, il qualifie le chant rock de “cri”, en l’absence de technique vocale bien identifiée. Il a raison, dans les grandes lignes, l’histoire du rock et de ses groupes phrare est largement constituée de chanteurs autodidactes.

Aujourd’hui, on classe dans la galaxie rock des artistes pop comme Nick Drake, ou des voix superbes comme celles de Sting, Thom Yorke, Bono, PJ Harvey, Cat Power… Parmi eux beaucoup n’ont acquis une vraie maîtrise vocale qu’avec le temps, et une fois encore Berio écrit en 1967, et en dehors des Beach boys on voit mal qui pourrait le détromper. Mais c’est une qualité, relève-t-il, puisque tout le monde peut monter sur scène, devenir chanteur sans avoir été formaté par l’apprentissage d’un style. De même que chaque groupe “sonne” différemment d’un autre, chaque chanteur a son propre style.

Cet article assez court (8 pages suivies de très longues notes) cultive volontiers le raccourci et l’exagération, sans que cela devienne gênant. Le fond est plus important. Il nous donne matière à réflexion pour aujourd’hui. Depuis quelques années nombre de commentateurs se plaignent que les musiques “rock” n’avancent plus, et les innombrables revivals (disco, rock garage, post-punk…) leur donnent raison. Dans les années 70 et 80, le rock et les autres musiques actuelles ont volontiers manifesté leurs différences, et les frontières entre elles paraissaient nettes, peu perméables.
A dire vrai, l’inclusivité décrite par Berio se manifesta d’abord au tournant des années 80, pendant la période punk. The Clash mélangea son punk avec du funk et des influences jamaïcaines, en phase avec le punky-reggae des Slits, les rythmes jamaïcains de the Police, ou les mélanges rythmiques des Talking heads. A partir de 1991, Blue lines de Massive attack donne un nouveau coup de pied dans la cloison, jetant dans le shaker techno, dub, funk, hip hop, tandis que des artistes crossover comme Björk, Natasha Atlas ou Asian dub foundation confirment que l’innovation viendra des franchissements.

Mais une fois qu’on a pété les cloisons et qu’on se retrouve dans un joli loft, on s’aperçoit dans les années 2000 que c’est pour y faire la même chose qu’avant. Grâce à cette fameuse inclusivité, le rock et ses cousins détiennent une source de développement et de renouvellement par ce qui leur est extérieur. C’est sans doute rassurant pour l’avenir.
L’imagination et le talent consistent pourtant aussi à inventer. Peut-être le rythme infernal auquel sont apparus de nouveaux genres ces 50 dernières années nous a-t-il donné une impatience déraisonnable. En 1967 on partait encore de si loin que tout restait à faire.

Voilà donc un court article qui nous en dit long sur le rock et sur ses caractères actuels, avec 40 ans d’avance.



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