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Topic: des disques..., interviews
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Laetitia Sadier : the trip. Elle voyage en solitaire (interview)

par arbobo | imprimer | 27sept 2010

Lorsqu’une grande artiste sort un très beau disque, on ne manque pas d’occasions de se réjouir. En revanche vous aurez une chance plus rare, celle de découvrir plus bas une interview comme on a rarement la chance d’en faire et d’en lire.
Elle sera en concert en France du 28 au 31 octobre !

The trip

Quel beau parcours que celui de Laetitia Sadier. L’un des plus belles voix qu’on connaisse, chanteuse adulée et recherchée, membre de Mc Carthy, co-fondatrice de Stereolab, elle est devenue sans la ramener l’une des personnalités les plus emblématiques de la pop indépendante.
Voilà qu’après trois beaux albums réalisés sous le nom de Monade, dont elle nous avait longuement parlé là, elle publie pour la première fois un disque à son nom, chez Drag city.

Nouvelle étape pour cette artiste toute en finesse. The trip est un album concis et bien achalandé (April March, Richard Swift, Julien Gasc et Emma de Momotte, Rebecca Gates, Yuuki Mathews). Un album qui convaincra autant les fans de Stereolab que ceux qui attendent d’un album solo une vraie dimension personnelle. Ceux-là seront rassuré d’emblée par une pochette impossible du temps du “groop” : une photo ! Pas moins de trois reprises achèveront de marquer la différence.

La chanteuse magnifique et la parolière prisée continue de grandir, le songwriting délicieux qu’elle avait dévoilé avec Monade n’a pas grand chose à envier à celui du fameux groupe qui la fit connaître. Dès le rythme entêtant de Million year trip, on est séduit. Statues can bend, By the sea repris à Wendy et Bonnie, Ceci est le coeur… entre la basse ronde et profonde de Yuuki Matthews, la production d’orfèvre de Richard Swift, le chant toujours plus vaste de Laetitia, on dévore The trip avec gourmandise. Nous ne sommes pas seul (cf. pop revue express et mathieu gandin) à avoir aimé cet album :-)

Mais Laetitia Sadier c’est plus que cela, c’est aussi une personnalité magnifique, capable de transformer ses doutes en étoiles. Elle a puisé en elle les paroles les plus personnelles qu’on lui connaisse.

La généreuse Laetitia Sadier a accepté de parler de son album, et d’elle-même, dans une longue discussion sincère et lucide. Nous avons eu cette chance, nous vous la faisons partager ci-dessous.

interview

Est-ce que tous les morceaux sont nouveaux, ou tu en avais déjà écrit durant la tournée de Monade ou celle de Stereolab ?

Ils sont tous nouveaux, enfin nouveaux d’il y a plus d’un an. Le gros, je l’ai écrit durant l’été. Je ne sais plus exactement, je n’archive pas… une fois que c’est fait c’est du passé, ça rentre dans un grand sac.

C’est le jeu de l’interview, on vient mettre les mains dans ton sac.

(rires) J’ai tendance à tout mettre en vrac. Après ça sort, ça devient un disque, une entité. Ca devient « un ».

Justement ce disque ne fait pas du tout désordonné, pas plus que tes précédents d’ailleurs.

Monade ça veut dire « unité » justement, alors on continue dans cette voie.

Il y a comme une boucle, ou un effet miroir. Tu as souvent été l’invitée, comme chanteuse, cette fois c’est toi qui reçois, ou qui a des contributeurs

Des « contributeurs », c’est bien oui.

Mais je n’ai pas trouvé l’info pour dire sur quels titres ils interviennent. April March par exemple

Elle est sur Natural child, Fluid sand, sur un autre morceau que je n’ai pas mis sur le disque, et sur By the sea. Il y a aussi mon amie Rebecca Gates qui chante sur Ceci est le coeur et One million year trip. Richard Swift chante sur une autre chanson que je n’ai pas utilisée, sur Un soir un chien, et sur One million year trip, on a fait les doooooo wap à la fin. Mais il a aussi joué de la batterie, et du piano sur Statues can bend.


C’est un titre magnifique, Statues can bend, peut-être ton plus beau.

Mais je l’ai complètement volé (rire). Je l’ai trouvé dans un poème de George Seferis, un poète grec. Je n’ai pas volé le poème, juste le titre. Merci du compliment en tout cas. J’ai bien volé (rire).

Du coup parlons un peu des reprises. Chez Stereolab, il n’y avait jamais de reprise, mais pas mal d’emprunts, de citations plus ou moins évidentes. Là c’est plus assumé, il y a carrément 3 reprises, sur le disque c’est une bonne proportion.

Je suis un peu sous influence de mon boyfriend. Il met carrément les pieds dans le plat, il me dit « tu devrais faire un disque uniquement de reprises ». Alors moi « horreur ! », « non ! », « impossible ! » Déjà pour en faire une… Il faut avoir une bonne raison pour faire une reprise. Mais bon, il me tanne depuis plusieurs années avec ça, et l’idée a quand même fait son chemin. Il y a une chanson que j’ai envie de reprendre depuis des années et des années, parce que je l’adore, je me suis vraiment fait plaisir, c’est un soir un chien des Rita Mitsouko. Après tu écoutes de la musique et tu te dis, reprise, reprise, qu’est-ce que je vais bien pouvoir reprendre ? Le champ est immense, il y a plein de chansons possibles.

Et tout de même derrière tout ça, il doit y avoir une raison comme je te disais, une idée derrière cet acte, qui va transformer la chanson et l’amener sur un territoire nouveau. Plutôt que d’essayer de la répliquer, sans jamais vraiment lui faire honneur.

J’écoutais le fameux disque de Wendy & Bonnie, Genesis, et cette chanson, by the sea, elle est incroyable, je me suis dit que ça ferait une superbe chanson pop, si on l’accélèrait un peu. Tu connais l’original ?

Je l’ai découverte grâce à ta reprise, je ne connaissais pas cet album et on n’est pas surpris de voir Stereolab remercié dans la réédition récente. Il y a des proximités entre les deux.

C’est vrai. Ca fait partie de la même famille.

Je trouve que ce morceau, « by the sea », tu l’as beaucoup plus transformé (par le tempo, le chant…), plus éloigné de l’original que tu ne l’as fait pour « Un soir un chien ».

Pour Un soir un chien, je ne suis pas responsable à proprement parler de la musique. C’est Richard et Yuuki qui s’en sont occupé durant tout un week-end, avant-même que j’arrive à Portland. Je me suis contenté de poser ma voix sur un truc qui était déjà complètement « rond », déjà fait.

C’est la seule que tu as enregistrée chez Richard Swift ?

Non, j’y ai aussi enregistré Ceci est le coeur, One million year trip, Statues can bend, puis une autre collaboration entre Richard et moi, mais que je n’ai pas mise sur le disque parce qu’elle ne trouvait pas vraiment sa place. Je ne voulais pas que le disque soit trop long, alors j’ai caviardé.

Avec tous ces morceaux que tu n’as pas gardés, on aura peut-être droit à un 45 ou un EP un de ces jours ?

Pourquoi pas. De nos jours, qui sait. On trouve toujours, il y a toujours un endroit.

Pour quelle raison tu voulais faire court ? D’autres artistes font le choix opposé.

Il y a plusieurs raisons. Je n’aime pas les albums trop longs, j’aime quand c’est digeste, assez léger. Pour pouvoir l’écouter d’une traite. Il faut respecter le rythme naturel dans la vie des gens. J’ai toujours trouvé que les albums de Stereolab étaient trop longs, et que tu ne pouvais pas les écouter d’un trait. Ca me frustrait énormément. On peut donner une certaine attention, mais si c’est trop long tu perds cette qualité d’écoute. Je pense que les gens ne sont pas disponibles à ce point qu’on puisse les capter pendant une heure et demie. Si tu les a captés durant 40 minutes déjà c’est bien.

Tout ce que tu dis depuis tout à l’heure confirme l’impression qu’on a  à l’écoute. On entend d’abord une grande similitude avec Stereolab (plus que dans tes disques avec Monade), mais plus on réécoute le disque et plus on mesure les différences, que ce soit dans le format, dans la production, dans le chant…

Parce qu’il s’agit de la même voix dans les 2 cas, la mienne?

Mais dans la musique aussi

Pourtant dans Stereolab je n’écrivais pas la musique. Mais c’est vrai que j’ai baigné dedans durant pas mal d’années.

Tu n’es pas la première personne à me dire qu’au début ça sonne comme Stereolab, et que ça s’en éloigne au fur et à mesure. On me l’a même dit plusieurs fois. Je me demande si ce n’est pas aussi une question de perception de celui ou celle qui écoute, qui elle-même s’éloigne de Stereolab. Puisque pour le moment, Stereolab c’est fini, et la réalité c’est ce nouveau disque qui n’est plus Stereolab. Cette réalité s’éloigne. A l’écoute du disque, ton point d’attache c’est Stereolab parce que c’est comme ça qu’on me connaît, et puis après hop, on part. En plus ça s’appelle The trip, on fait un petit voyage (rire), et à la fin tu es éloigné de ton point de départ.

La différence est aussi dans le chant.

Peut-être qu’on entend mieux la voix que dans Stereolab.

Pas uniquement dans la place de la voix et le mix, mais dans ton chant lui-même. En particulier dans « un soir un chien », tu as des aigus que je ne te connaissais pas, et il ne me semble pas non plus que tu avais déjà fait du chanté-parlé avant ce titre.

C’est vrai. Je me libère un peu. J’ai fait exploser le corset (rire).

Je pensais que dans Monade tu ne l’avais plus, ce corset, justement.

Peut-être que je l’avais encore. D’ailleurs je l’ai encore un peu, moins qu’avant mais c’est tout un processus pour s’en débarrasser. Pour reprendre une forme plus naturelle. On est conditionnés, on ne s’en débarrasse pas du jour au lendemain, c’est tout un processus de transformation.

Ce naturel, on le retrouve dans la production, le côté très acoustique.

J’y tenais. Dans ce disque tout s’est fait très naturellement. Surtout avec Richard. On avait fait une tournée ensemble, il avait fait notre première partie aux Etats-Unis. Bien que je l’avais choisi comme « support act », je n’étais pas disposée à l’écouter chaque soir, la tournée était très difficile. Mais le dernier soir on est allé se promener, on a échangé quelques mots, on s’est dit que ce serait bien travailler un jour ensemble. Quelques mois plus tard il vient à Londres avec son groupe. On est allé le voir, et là j’ai eu la révélation. En plus ils n’avaient pas le même ingé son qui leur avait fait un son très dur, là le son était doux, wah, je me suis pris une baffe ce concert était merveilleux. Et le bassiste, Yuuki Matthews, il a joué et je me suis évanouie. Qu’est-ce qu’il joue bien, il a la justesse rien que dans une note. La première note disait tout. C’est rare d’avoir une révélation comme ça (rire).

Et après la concert Yuuki me saute dessus et me dit « j’apprends que tu vas travailler avec Richard, je veux absolument faire partie de ce projet » (sourire). Alors que je n’avais encore rien dit. Alors, Ok, go, surtout que j’étais en train de chercher des gens avec qui travailler.

Ce n’est pas toi qui me parlais de synchronicité ?

Ca aurait pu, on est vraiment dans ce domaine là. Quand les portes s’ouvrent ainsi… Moi j’étais dans un doute terrible, tout le monde fait de la musique, tout le monde a garage band, tout le monde a pro-tools, tout le monde veut être une star, tout le monde peut être sur youtube… Je me demandais si j’avais vraiment quelque chose à offrir, est-ce qu’il y a une raison d’être à tout ça ? Ca me fait vraiment chier les trucs inutiles, qui encombrent.
Les choses se sont alignées devant moi, et ont fait que j’ai pu enregistrer. Mais ce que je voulais c’est être vraiment dans l’essence, l’essence de la chanson, ne mettre que ce qui a une raison d’être. Je ne sais pas si ça s’entend, mais telle était l’intention. C’est difficile d’être le plus épuré possible, on a toujours envie de décorer un peu.

J’ai écouté ton disque avant de savoir que Richard Swift y avait participé, et ça colle vraiment bien à cette volonté de sobriété. En ce moment, grâce à l’album de Damien Jurado qu’il a produit, je l’entends beaucoup.

Ah oui qu’est-ce que c’est beau ça aussi. Et d’une “essentialité”, si ça se dit… C’est ce à quoi j’aspire, et Richard est l’homme de la situation pour capter ça.

L’autre jour j’ai vu Jurado en concert, seul à la guitare, c’était magnifique.

J’ai vu Damien récemment aussi. C’est d’une beauté et d’une sincerité qui me fait chavirer. C’est tout a fait le genre de pureté et “essentialité” à laquelle j’aspire. Et donc moi aussi je vais venir à Paris, seule avec ma guitare. A moins que les gars de Mice parade viennent m’aider sur un ou deux morceaux. Comme ce sera la fin de la tournée on aura eu le temps d’en parler. Si quelque chose doit se faire, ce sera fait. Tu sais, ça se fait toujours le dernier soir, comme en colo (rire).

Sur ton disque il y a un côté très seventies je trouve, je ne sais pas si ça te parle ou si je suis à côté de la plaque ?

Non, je ne sais pas… c’est moi qui suis à côté de la plaque à ne pas savoir, ou à ne plus savoir. De nos jours c’est devenu difficile de discerner, il y a tellement de « copies », et des copies vachement bien faites, un son des fifties, etc. J’espère ne pas être identifiable dans le temps. Ce n’est pas un son moderne, ça se veut plus « timeless » que moderne.

Avec ce son, on dirait que l’enregistrement est analogique, mais aussi par moments la basse apporte un côté jazz 70s, voire jazz-funk (l’époque Janko Nilovic, les disques de Pierric…). Je me demande la part du jazz dans ce disque.

Alors ça c’est ton travail, d’analyser tout ça. Moi je n’agis pas froidement, de manière calculée, je n’analyse pas. Le jazz m’attire énormément, sans en être spécialiste. A cause de cette liberté qu’il y a dans le jazz. On ne peut pas enlever au jazz cette liberté. Tu peux faire ce que tu veux, tu es sur un autre terrain où tu peux quitter les formes 1-2-3-4, les formes chromatiques, tu peux te lancer.

Tu n’as pas cette liberté en écrivant tes chansons ?

Non non, on ne l’a pas. Dans le rock, dans la pop, ce sont des formats très codés. On a d’autres libertés, d’une expression plus directe, sans avoir besoin d’années d’école de musique, ce qui confère une sacrée liberté. Celle d’être reçu par le plus vaste nombre, aussi, de manière très instantanée. Mais musicalement je trouve ça assez limité. Mais Tim a bien montré qu’on pouvait se créer des libertés dans cet espace là, qu’on pouvait pousser les murs.

Comme quand tu changes de rythme en cours de morceau, ou quand tu changes d’ambiance ?

C’est vrai, mais je me sens limitée par rapport à ce que j’aimerais faire et la liberté que j’aimerais atteindre. C’est une question de connaissance de soi aussi, c’est tout un cheminement. Mais je me sens encore assez limitée par rapport à tout ce qui pourrait être là. Chaque chose en son temps, un pas après l’autre. Je ne peux pas me demander d’être déjà à un endroit où je ne suis pas encore arrivée.

A t’entendre, les limites sont à l’intérieur de toi, liées à toi.

Je pense qu’on est responsable de ses propres limites, comme on est responsable de les surmonter.

Est-ce que sortir ce disque sous ton nom, alors que Monade était déjà ton projet à toi, va dans le sens de cette libération ?

Peut-être, oui. Là encore c’est mon boyfriend qui m’encourage. Il me demandait pourquoi je me cachais derrière Monade, « sois- toi-même ». Il m’a beaucoup encouragée à utiliser mon nom, notamment pour plus de visibilité. Monade ça faisait très ésotérique. Pourquoi ne pas être Laetitia Sadier, une artiste, parmi tant d’autres, qui font ce métier et qui en vivent. On ne vient pas du même background, il ne comprend pas qu’il n’y ait pas de photo sur les disques, que la musique soit autant privilégiée, le Do it yourself. Comme le cinéma expérimental, « pourquoi y’a pas de son subitement ? Pourquoi l’image s’est elle arretée d’un coup?». De mon côté je l’ai éduqué à ça, autre chose que des trucs bien léchés, polis, attendus.

En plus, pour en revenir à la synchronicité, ça arrivait à un moment où Tim annonçait qu’il voulait prendre un break, et où je n’ai plus Monade, je ne travaille plus avec les gens de Monade en temps que groupe. Et à un moment où je voudrais vraiment trouver « ma » voie, et le faire avec de plus en plus de conscience. Ca tombait bien.

Comme Monade était ton projet à toi, tu aurais pu choisir de continuer, mais avec d’autres personnes.

C’est vrai. Mais c’était un choix. Ca donne un renouveau, mais a priori entre Monade et Laetitia Sadier il n’y a pas beaucoup de différence. C’est la même personne, le même cheminement, mais à des temps différents.

Et dans ce cheminement, quand tu disais tout à l’heure « tout le monde veut être une star », toi tu t’es bien gardée de ça, alors qu’à un moment il ne s’en serait pas fallu de beaucoup si tu l’avais voulu. Tu fais aussi très peu de photos, sur celles de l’album tu es à peine reconnaissable…

Oui mais c’est quoi être star ? Définissons. C’est quoi pour toi ?

Déjà il y a une dimension image au-delà de l’activité artistique, s’exposer…

Mais c’est souvent mis en scène. C’est un travail de se mettre en scène. Avec Tim c’était la musique avant tout… L’image passait après, ce n’était jamais une priorité. On n’a jamais cultivé notre image comme par exemple Radiohead, Manic Street Preachers ou Pulp. On n’a jamais eu non plus des gens autour de nous qui nous conseillaient « vous devriez faire plus de ci, ou de cela ». Il y avait une certaine hostilité envers ça, un refus d’être « captured », capturé, filmé. On n’était pas à l’aise avec ça, tu as vite l’air d’un con quand tu n’es pas à l’aise. On s’est épargné ce truc là. Ca demande beaucoup de maîtrise, ça ne se fait pas à l’improviste, les mecs qui font ça savent ce qu’ils font et pourquoi ils le font.

En parlant d’image, à propos de ton disque la reprise de « Un soir un chien » est mentionnée comme étant sur la BO d’un film de Godard, soigne ta droite, au lieu d’être citée comme un titre de The no comprendo.

C’est un de mes films préférés de Godard, que j’aimerais beaucoup revoir. Mais je pense que le présenter comme ça c’est aussi parce que Godard est connu à l’étranger, ça fait tilt, et les Rita Mitsouko pas du tout. C’est de la stratégie, mais là ça tombe bien.

On n’a pas encore parlé de la dernière reprise, Summertime. Quelle est la raison derrière celle-ci ?

Elle est sortie toute seule cette petite Summertime. Parfois il y a des choses qui sortent de manière spontanée. Je me suis mis à jouer deux accords, et spontanément j’ai commencé à chanter Summertime dessus. C’était l’été, j’avais le blues malgré l’été et que “vive la vie”… Je trouvais que ça allait bien avec l’angoisse qu’on peut avoir face à la vie, que cette chanson reflétait un sentiment assez universel face à l’obscurité de la vie. Ce petit chant qui calme, rassure, qui dit « tout va bien, tu es belle et tu es riche, ne pleure pas, ne t’en fais pas ».
Ce n’est pas une chanson que j’aime particulièrement a priori, ça ne me dit rien de spécial. C’est juste un classique. Mais elle a eu une façon de s’imposer, qui m’a fait dire « ok sweets, tu t’imposes, tu metites ta place”. Mais j’ai laissé faire la chose, parce que mon intellect me disait « non non non, on va pas se faire chier avec Summertime » (rire). Parfois les choses s’imposent, et elles ont leur raison d’être, même si je ne la saisis pas vraiment dans le moment, la raison est là.

Dans l’ensemble du disque il y a ce mélange de rondeur, de douceur mélodique et musicale, et de noirceur des paroles, sur beaucoup de chansons.

La chanson, la peinture, sont des manières privilegiées de sublimer. C’est un endroit où tu peux mettre ta tristesse, tu peux mettre tes doutes, tout ce qui est sombre. Sans avoir à les mettre dans la musique et dans la production, au moins de le texte. Pour moi c’était un travail thérapeutique. J’ai vraiment transformé toute une tristesse que je ne savais pas où mettre. Si, je peux la mettre au parc, je peux la confier à un arbre, la nature est d’un grand soutien dans les moments de choc et de tristesse. Quand je me retourne, je vois cet album qui est donc dédié à ma petite soeur. C’est là que j’ai mis ma tristesse, ça ne pourrit pas au fond de moi au fond de mon âme, meme si j’ai encore beaucoup beaucoup de tristesse. Ca ne pourrit pas, c’est là et ça vit, dans une oeuvre d’art.

Les paroles sont très personnelles sur tout le disque d’ailleurs, “Ceci est le coeur” est écrit à la troisième personne mais tu dis “ceci est le coeur de Laetitia”. C’est presque la seule en français. Peut-être était-ce plus facile d’écrire en anglais les paroles, en particulier sur “million year trip”.

C’est vrai. Ce n’était pas facile de chanter cette chanson. La voix que tu entends, c’était une démo. Je pensais la refaire pour la chanter mieux, mais je n’ai pas trouvé le courage en moi. Je n’ai pas pu. Pour Natural child aussi, qui est dédiée directement à ma petite soeur. Là encore il y a une synchronicité. Je n’arrivais pas à chanter la dernière ligne, “that you are well, that all is well”. J’essayais et réessayais et j’avais la gorge qui se nouait, et une grande angoisse. C’est la chanson que j’ai chanté en dernier, parce que j’angoissais terriblement à l’idée d’avoir à faire face à ma douleur. Et là, alors qu’on enregistrait depuis deux semaines sans pluie, il s’est mis à faire un orage avec une pluie torrentielle, on a du arrêter tellement ça tapait fort sur les carreaux. Comme si toute ma tristesse se déversait. C’était un moment particulier, qui a clôt l’enregistrement à Oxford avec Emma et Julien.

Ceci est le coeur est le fruit d’un atelier d’écriture, on devait parler depuis son coeur en fermant les yeux, le décrire. J’ai halluciné de ce qu’il y avait dans mon coeur; on ne fait pas ce genre d’exercice chez soi. Ca a été une révélation, d’aller chercher, on se connait tellement mal, on se connait tellement peu.

On mesure, à tout ce que tu dis, à quel point ce disque est pétri de doutes, tu l’as construit dans beaucoup de douleurs et d’incertitudes.

C’est vrai et pourtant, le résultat final n’est pas douloureux à écouter. Ca ne fait pas peur (rire).

On n’entend pas quelqu’un de déstabilisé, tu as gardé une solidité, que tu as sans doute toujours eu.

Je crois que plus on affronte sa peur, plus on y va, plus on constate qu’on est équipé pour faire face, pour surmonter sa douleur. Je n’ai jamais pris d’antidépresseurs de ma vie. Ca en revanche ça me fait très peur. Ce qui nous empêche c’est plus la peur de sombrer, que sombrer effectivement. Chaque fois que j’ai eu des coups durs, je les ai encaissés. Je dis pas ça pour me booster ou me vanter, c’est juste que je constate qu’on est incroyablement équipés pour faire face aux choses les plus dures que la vie peut nous envoyer. On n’en ressortira que plus fort, alors on gagne à ne pas avoir peur, à y aller. C’est pas facile, c’est sûr. C’est pas facile.
Il y a tout un tas de mécanismes de résistance en nous qui nous empêchent d’y aller, mais on peut les déjouer. D’ailleurs c’était le thème de la chanson Becoming sur le 2e album de Monade, que je joue en live. Tous ces mécanismes, ces trickery, qui nous jouent des tours et se mettent en travers de notre devenir, de notre potentiel. Méfiance, il ne faut pas que ces mécanismes aient raison de nous. Sinon on ne vit pas, on s’empêche de vivre. Alors qu’on est là pour vivre, pour faire des expériences aussi douloureuses qu’elles peuvent être.

Je t’avoue que je ne savais pas trop comment aborder cette interview, parce que le communiqué sur l’album explique qu’il est dédié à ta soeur qui s’est suicidée, alors d’un côté ça veut dire que tu en parles, mais de l’autre je ne voulais pas te forcer la main, et j’espère que personne ne le fera dans d’autres interviews.

C’est très délicat, parce que je voulais pas qu’on pense que j’exploitais cette tragedie à des fins commerciales. La presse peut être tellement morbide, j’en ai fait l’expérience avec Mary. Au début les gens étaient très circonspects et n’en parlaient qu’à la fin, mais ensuite les interviews commencaient direct par ce sujet d’entrée ! C’était insupportable.
Mais je trouve que le communiqué de presse le mentionne de manière assez délicate, au cours du texte. J’hésitais, est-ce que je le dis ou pas. Est-ce que ce sera compris, recç dignement? Mais c’est quelque chose qui arrive, assez fréquemment. C’est incroyable le nombre de personnes qui me disent, en apprenant pour ma petite soeur, que leur père, que quelqu’un dans leur famille, qu’un ami en est arrivé là aussi… Ca arrive, et c’est quelque chose de très difficile à juger ou même à comprendre.
Moi j’en ai fait un disque parce que c’est ce que je fais, j’écris des chansons. Mais ce qui est aussi d’un grand soutien c’est la nature. Les arbres, l’herbe. Entre quatre murs, avec la télé, le béton, c’est l’horreur, la douleur ne peut aller nulle part, elle nous revient. Les arbres prennent notre CO², ils peuvent prendre aussi nos émotions et nous les renvoyer nettoyées et positives; ils peuvent nous apporter un grand soutien. Ca peut sembler bizarre mais ça marche, tu devrais essayer. Quand j’ai un coup de blues je vais au parc, je pleure auprès d’un arbre, je lui confie mes malheurs, ça m’aide à rester saine.

Merci beaucoup Laetitia.



Comments

6 Commentaires


  1. 1 mk on octobre 7, 2010 10:01

    Merci pour cette belle interview…

  2. 2 arbobo on octobre 7, 2010 10:27

    le plaisir est pour moi :-)
    belle interview, c’est ce qu’elle m’a dit également,
    mais c’est elle qui nous a fait un beau cadeau ^^

  3. 3 mk on octobre 8, 2010 23:16

    On est bien d’accord!

    j’avais été assez déçu par ce que j’avais écouté de Monade, sur myspace, au début… J’y reviens & en fait c’est bien. J’ai l’impression que le nouvel album est encore meilleur, mais il faut que j’écoute encore & encore.

    Une question : tu ne lui as pas demandé comment elle situe musicalement ce qu’elle fait aujourd’hui par rapport à ce qu’elle faisait avec Stereolab?
    Je me demande aussi quel regard elle a sur Stereolab avec le recul, sur leurs disques, leur son…

    Bref :)

    Je crois qu’elle n’habite plus sur Bordeaux, malheureusement je ne l’ai jamais croisée dans nos rues.

    mk

  4. 4 arbobo on octobre 8, 2010 23:58

    depuis plus de 3 ans elle habite londres à nouveau.

    pour stéréolab je l’ai laissé en parler ou pas, j’aime beaucoup ses disques solo je n’ai pas envie qu’elle se sente rattrapée par le groupe, en tout cas pas avec moi :-)

  5. 5 mk on octobre 9, 2010 11:05

    Je m’en doutais…

    Remarque, il me reste les interviews de Stereolab. L’évolution m’interpelle quand même un peu.

  6. 6 mk on octobre 9, 2010 11:05

    Et merci pour les infos!

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