Berlin sampler, livre de voyage et de sons

par arbobo | imprimer | 7mai 2010

Dès que je t’ai vu, j’ai eu envie de toi. De te toucher, de te prendre le soir, à la lueur de la bougie.

Je t’ai caressé tout de suite, je t’ai fait des sourires.

Il y avait longtemps qu’un livre ne m’avait pas fait de l’oeil comme toi, tu sais. La fausse austérité de ta couverture élégante. Ton titre direct, clinique, mais annonce d’un formidable programme. Voilà. Tout de suite tu m’as plu, et je ne t’ai pas lâché.

Pourtant tu n’es pas très sexy, franchement. Cette couverture unie, entre deux couleurs. Ces petits caractères serrés, mais dans une police élégante (Neuzeit office, dessinée par Wilhelm Pischner et revue par Akira Kobayashi). Cette absence d’illustration. Mais dès les premières lignes sur Schönberg, j’étais emballé, je tenais le livre qui allait enfin me décider à prendre un billet pour Berlin. Tout en sachant que la plupart des personnages et des endroits que je découvre dans tes pages ont depuis longtemps disparu.


Die moritat von Mackie Messer par Bertold Brecht (version originale)

Tu t’appelles Berlin sampler, et tu es tout caca d’oie. Tu es design et peu ragoûtant, un tel mélange c’est presque sexuel dis-moi. D’ailleurs tu as un côté canaille, ne le nie pas, quand tu évoques la période de la république de Weimar et ce Berlin débridé où Marlene Dietrich affolait la nuit et hantait les fantasmes de toutes et tous.
Voici un siècle de musique qui défilent de rue en rue de Berlin.  “Le son de Berlin de 1904 à 2009″.  Rien que ça. Un livre comme on n’en connait pas d’autre, à la fois évocateur, visuel malgré l’absence d’illustration, et réellement érudit.

N’oubliez pas de visiter le site du livre, qui contient des extraits à écouter. Plusieurs dizaines de morceaux, au bas mot ! On frôle l’anthologie. D’ailleurs malgré sa taille raisonnable ce livre est d’ores et déjà une somme.

Ni encyclopédie. Ni dictionnaire. Ni histoire de l’art. Ni abécédaire… quoique. Te voilà découpé malicieusement en “E”, “A”, “U”. Tu sais marier la chronologie et le découpage esthétique. Tu sais, guidé précisément par ton auteur, nous amener d’un thème à l’autre comme on se promène, simplement, logiquement, sans en avoir l’air, en évitant les cul de sac.
E-musik, dis-tu. “Ernste musik”, la musique savante comme on dit, pour l’opposer aux compositions populaires, la musique de ceux qui ont fait le conservatoire et créent des opéras. Au début du 20e siècle, tes tenants sont parmi les musiciens les plus audacieux de l’histoire, jamais en reste d’un code à renverser ni d’une invention à mettre en oeuvre.
U-musik, bien entendu. Unterhaltungs musik, celle du divertissement. Un divertissement pour oublier la dérive du pays, un divertissement pour profiter de l’élan démocratique qui fait de Weimar et de Berlin les épicentres des éruptions artistiques du moment. Divertissement qui fit la gloire de Brecht et de Weill, mais qui côuta cher aux Comedian harmonist décimés par les lois antisémites nazies, qui coûta tout autant à cette jeunesse folle de swing.
Le passage sur la swing jugend, après tant de pages nous immergeant dans la réalité sociale et politique du pays, sont parmi les plus fortes et les plus étonnantes. Mais le jazz fut détrône par le rock après-guerre.
Ainsi arrive l’A-musik. Comme le nom d’un disquaire en vue, mais aussi comme “alternatif”, et comme toutes les expérimentations qui brouillent la frontière entre la musique et l’a-musique. Folk, free jazz, évidemment le fameux et si divers “krautrock”, toutes ces musiques de liberté, qui se jouent des codes et des frontières, n’ont finalement rien çà envier en inventivité et en radicalité avec celles qui les ont précédé. Ville d’accueil notamment de Brian Eno et David Bowie pour leur trilogie légendaire, ou de Lou Reed (produit justement par Bowie) évidemment.

Lou Reed - Berlin - Oh Jim by Touch-Defiles

Techno
, bien sûr. Pour finir. Pour ouvrir. Là encore une musique née loin de Berlin, principalement à Chicago, et qui a explosé en Angleterre (le deuxième “summer of love” de 1987, et sa floraison d’ecstasy). Berlin attire plus que jamais les musiciens électro, les fans du label K7, les DJ, les amateurs de musiques nouvelles venus du monde entier et qui se mélangent dans les immenses clubs de la ville.

A travers ce livre se dessine un mythe, une ville-musique construite sur la radicalité et l’avant-garde, quelle que soit la date à laquelle on se situe. Théo Lessour n’écrit pas seulement bien. Il voit juste. En artiste, il ne nous fait pas uniquement profiter d’une somme de connaissances, il offre une vision. Berlin capitale d’hier, puis d’aujourd’hui, mais ville rebelle, constamment en train d’inventer la ville et la musique de demain. Toujours à gauche, toujours radicale, toujours cosmopolite et allemande. Car tu ne peux t’empêcher d’être un livre éminemment politique.
Ces constantes que tu soulignes et qui sont ton fil d’Ariane, permettent de réunir un siècle de musiques des plus pointues aux plus populaires, des musiques sans rapport direct si ce n’est l’énergie qui les anime, ce coeur battant qu’est Berlin.

A la réflexion, tu pose un problème. On peut se débrouiller, on peut toujours, pour trouver un film ou une musique, plus ou moins légalement. Mais un livre… Où te trouver, mon petit? Quand l’éditeur est petit, le livre peu distribué, et pour ainsi dire pas chroniqué, il faut un coup de chance.
Par exemple flâner à L’atelier 9, rue des martyrs. En ressortir, plein de félicité, comme un enfant remonte de la plage avec un coquillage aux couleurs extraordinaires. Autant dire qu’on est fier et qu’on a envie de te montrer, de t’arborer.

Ellen Alien - Alles sehen

Tu es un grand livre, mon petit, et on n’a pas fini de t’offrir. Car j’oubliais : tu es ridiculement peu cher, à 14 euros tu es plus qu’un cadeau.



Comments

7 Commentaires


  1. 1 Benjamin F on mai 7, 2010 11:18

    Sympa cet effet de personnalisation. Si tu voulais donner envie de lire le livre, c’est plutôt réussi :)

  2. 2 arbobo on mai 7, 2010 11:50

    but atteint alors, merci benjamin :-)

  3. 3 The Civil Servant on mai 7, 2010 15:56

    Ah Arbobo,
    Même après les livres il s’excite !
    Incredible ce man !
    Bon cela étant c’est bien écrit Dommage que je me soucie de Berlin comme d’une guigne (ce en quoi j’ai grand tort, je le sais).

  4. 4 arbobo on mai 7, 2010 16:30

    ahhhhhhhhhhhhhh x_O

    bon thierry, vu tes tropismes je comprends, mais s’il y a une ville hors des USA et d’Angleterre qui mérite qu’un amateur de rock s’y intéresse, c’est bien Berlin :-)

    ou tout amateur d’histoire, d’ailleurs, c’est tout l’intérêt de ce livre de ne pas faire des notices déconnectées de tout contexte

  5. 5 cb on mai 9, 2010 11:58

    Je ne peux qu’être d’accord, ce livre est un petit bijou !

  6. 6 arbobo on mai 9, 2010 19:14

    oui cb, je crois qu’une fois qu’on l’a ouvert, on est tout de suite accro :-)

  7. 7 Magda on mai 16, 2010 16:55

    S’il existait en allemand c’est surtout mon musicien de mec qui le dévorerait… (mon Dieu ce titre d’Ellen Alien est vraiment fabuleux). Bon, j’espère qu’on peut le trouver sur Internet!

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