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Le jazz en son siècle, parcours erratique au quai Branly

par arbobo | imprimer | 19avr 2009

Comment le quai Branly, musée ethnographique, allait-il traiter le jazz, musique récente, urbaine, américaine?
Comment allait-on profiter de la venue d’un public curieux de découverte et pas forcément connaisseur de musique, pour l’instruire de l’univers artistique du jazz?

Réponse : en laissant le public se démerder.
Une bonne partie de rigolade, cette exposition “Le siècle du jazz“, un vrai jeu de pistes pour connaisseurs et collectionneurs, un magma informe pour tous les autres (i.e. vous, moi, tout le monde).
Très franchement, autant cette exposition recèle de nombreux trésors et procure beaucoup de plaisirs, autant on en sort avec l’idée très nette que ses concepteurs, à commencer par le commissaire Daniel Soutif, est tombé dans la caricature du jazzophile hautain, méprisant, toujours avide de faire comprendre au grand public que ce dernier, décidément, n’y comprend rien.

Espérons que les publics italiens et espagnols (l’exposition est co-produite par des musées de Trente et de Barcelone) ne seront pas freinés par cette marque de mépris tellement français qu’il nous vaut partout une sale réputation.

Un exemple, saisi en milieu d’exposition. La toile, de Jackson Pollock, est éminement forte, mais abstraite comme il se doit. L’exposition est consacrée au “siècle du jazz”, mais rien ne vient nous expliquer ce que vient faire ici un Pollock. C’est toujours un plaisir d’approcher une de ses toiles, mais ce lien, la raison, est-ce que Pollock était musicien à ses heures? Cotoyait-il des jazzmen? Il faut lire la presse pour l’apprendre, dans le JDD on peut lire qu’il peignait en écoutant du jazz “dixieland”, ce style New Orleans du début du XXe siècle.

Anecdote révélatrice, parce que le sentiment qui domine est celui d’une certaine confusion. Le parcours est découpé de manière chronologique, apparemment, chaque époque étant accompagnée de 10 lignes de présentation en tout et pour tout. Autant dire que le beau catalogue est bien plus que cela, et qu’il apporte nettement plus de compréhension que l’exposition elle-même. Il coûte près de 50€, c’est à vous de voir.
Sachez tout de même qu’il y 2 expos en une. La première est au prix normal, vous serez lâchés dans la nature, mais vous croiserez quelques oeuvres superbes. La seconde consiste à avoir aussi le catalogue,  qui regorge d’explications, de toutes ces mises en contexte et informations que vous auriez ravi d’avoir… pendant votre visite!

Deux manières d’aborder cette exposition, donc. Soit on part nez au vent et on se laisse satisfaire par le plaisir des yeux. Soit on prend au mot le titre ouvertement chronologique de l’exposition, “le siècle du jazz”, et les indices (rares mais explicites) d’une trame historique, et on réalise alors que les concepteurs de l’exposition ont fait preuve d’un élitisme qui confine au mépris.

Le visiteur est constamment laissé dans la suggestion, voire dans la confusion. Le parcours physique, déjà, nous laisse dans le plus grand flou. Or on voit d’emblée qu’on nous propose un découpage chronologique, alors il faudrait savoir, soit on nous guide, mais faîtes-le bien, soit on ne le fait pas, et nous déambulerons librement avec plus de plaisir que de frustration.
Car les liens entre les oeuvres restent assez flous dans la première partie, et le contexte historique ou social est totalement absent, de même que toute spatialisation (pourtant, parler de Harlem sans faire le lien avec le “A train” de Duke Ellington qui y conduit, c’est se priver d’une évidence parlante). Faute de véritable lien avec l’histoire raciale, sociale, urbaine, qui sont si importantes dans celle du jazz, ne reste que la dimension esthétique. Aspect réussi grâce à la profusion d’oeuvres, mais l’occasion d’en savoir plus est manquée de beaucoup.

Esthétiquement, le scénographe n’a visiblement pas saisi non plus s’il y avait un fil conducteur ou pas. Les pochettes de disques sont un peu partout, jamais présentés 2 fois de la même manière. Tantôt au milieu d’un panneau pêle-mêle, tantôt suspendues comme des robes dans une boutique chic, tantôt défilant sur un écran à hauteur d’enfant (la seule chose qui soit prévue pour eux). Alors messieurs, ces pochettes, elles vous servent à quoi, vous voulez qu’on les voie comment? Mystère…

Mais savourons par ailleurs.
Car l’exposition rassemble un nombre d’objets et d’oeuvres impressionnants. Les peintures, gravures et dessins, en particulier, sont splendides. Outre Pollock, on croise la main de Fernand Léger,  Picabia, Kupka, Nicolas de Staël… qui nous en mettent plein la vue.
L’ouïe, comme souvent dans les expositions consacrées à la musique, est moins bien soignée, mais du moins le son n’est pas trop fort ce qui est une qualité, et si l’on vient comme nous en nocturne, on a l’espace suffisant pour s’approcher des discrets haut-parleurs (fauteuils roulants s’abstenir, là encore la scénographie a loupé quelques virages importants de ces dernières décennies).

On est saisi par tel ou tel extrait vidéo, comme un “cake walk” emprunté à la Library of Congress, ou le cake walk infernal (et drôle) de Méliès. Les pièces maîtresses de la discophilie sont laissée à la sagacité des passionnés, alors on se laisse guider par le plaisir de l’oeil. Les oeuvres graphiques de années 20 m’ont mis en joie, la rencontre avec le cubisme a été fructueuse.

Le milieu de l’exposition s’éparpille un peu au détriment du sens (dire que le commissaire est philosophe, quelle ironie). Mais une fois entré dans la deuxième partie, une fois que les concepteurs ne sont plus empêtrés dans une visée historique qu’ils n’assument pas, on bascule et l’exposition gagne considérablement en force.
Avec la puissance des choix artistiques, on savoure les partis pris comme après des figures imposées rébarbatives.

Les grands formats apparaissent, profitant enfin de la sensation d’immensité dégagée par ces 2000m² sans plafond. Et surtout, on ose enfin consacrer des espaces entiers à un point de vue. Comme ce Easy to remember, court métrage savoureux de Lorna Simpson, qui présente en split screen les bouches de 15 chanteurs en train de fredonner un air.
La photographie a tissé des liens étroits avec le jazz, et si ce n’est écrit nulle part dans l’exposition, on le ressent du moins, grâce aux montages superbes des clichés de Roberto Masotti,  Giuseppe Pino, ou Guy Le querrec. Un régal. D’avoir  enfin osé choisir, les organisateur nous laissent du coup l’opportunité de regarder vraiment et de profiter, de nous imprégner au lieu de survoler.
L’une des dernières salles, dédiée exclusivement aux affiches de concert de Niklaus Troxler, fait partie de ces moments de plaisir

Voilà comment une exposition vendue comme pédagogique échoue totalement sur ce plan,  si ce n’est à nous donner le tournis. Et voilà comment à renoncer à cette ambition, elle nous séduit vraiment en laissant les artistes exprimer leur point de vue, leur regard.
Une fois qu’on a décidé qu’on n’irait pas voir Le siècle du jazz pour apprendre quoi que ce soit, on est armé pour s’y faire légitimement plaisir :-)

jusqu’au 28 juin 2009.
Nocturnes du jeudi au samedi.



Comments

4 Commentaires


  1. 1 Ama-L on avril 19, 2009 21:02

    Bon, moi je veux bien qu’il faille, pour prendre du plaisir à cette expo, abandonner toute idée d’apprendre quelque chose.
    Encore faut-il être armé face aux oeuvres. Ce qui n’est pas donné à tout le monde.
    On est donc bien, dans ce que tu dis, et à l’exception peut-être de l’aspect photo, toujours plus abordable même dans des factures expérimentales, dans une scéno construite pour les happy few, les “dominants culturels” comme on dit dans les débats chez G.T. ;)
    Il est vrai que le jazz a cessé depuis longtemps d’être une musique populaire - en France, parce qu’aux Etats-Unis, heureusement, ça se discute.
    Très franchement, ça ne donne pas du tout envie d’aller la voir…

  2. 2 arbobo on avril 19, 2009 21:31

    je t’avoue que j’étais furibard en sortant,
    maintenant,
    déjà lire les 12 pages ! du dossier de presse avant d’y aller c’est augmenter sérieusement ses chances d’en profiter ^^

  3. 3 arbobo on avril 19, 2009 23:53

    je m’aperçois que je n’ai pas encore mis le lien vers ce dossier de presse :
    http://www.quaibranly.fr/uploads/media/Le_Siecle_du_Jazz_-_10_mars-28_juin_2009.pdf

    et c’est 22 pages ;-)

    L’exposition s’accompagne de totu un cycle de concerts.

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