Related

  • No related posts found.
The Author
Topic: livres/expos/tv...
Tags: , , , ,

Adorno, musicologue bougon (2/2)

par arbobo | imprimer | 24juil 2006

Suite des aventures d’Adorno au pays de la musique

Adorno fait dans Le caractère fétiche dans la musique une critique violente des conditions modernes d’écriture et d’écoute de la musique.

« Elle fait, en tant que fond sonore, l’objet d’une aperception. » Adorno estime en effet que la musique est omniprésente et que dans le même temps nous ne l’écoutons pas vraiment. D’abord parce que notre écoute est fragmentaire. Or l’écoute de fragments n’a de sens, nous dit ce musicologue exigeant que si elle nous permet de mieux appréhender l’ensemble d’une oeuvre et sa complexité.

Qu’est-il donc arrivé à nos oreilles? Avec des accents de supériorité assez désagréables, Adorno nous accuse d’avoir de « mauvaises oreilles ». Elles nous empêchent de faire la différence entre musique supérieure et inférieure, selon les mots même de l’auteur.

A qui la faute? A notre propre faiblesse, mais aussi à un système qui nous impose de pseudo-goûts pour mieux écouler sa marchandise au kilo. Adorno se voit en résistant entouré de personnes abusées qui n’ont pas conscience de ce qui leur est arrivé. La superficialité de l’écoute n’est qu’une facette d’un problème plus large, au même titre que la dépolitisation dont Adorno accuse la jeunesse de jitterbugs surexcités et obnubilés par les dernières nouveautés.

Les pires de tous, selon Adorno, sont les amateurs de jazz, dont il dresse un portrait aussi drôle qu’assassin. Le jazz attire toutes ses foudres, et il met sous cette étiquette tous les airs à la mode produits au kilomètre et diffusés à la radio. Cela fait partie du côté réactionnaire de ce livre. Adorno n’a pas conscience de la révolution que va représenter le jazz, confluent inédit de musique savante et populaire. En 1938, elle commence déjà à être plus qu’un divertissement pour blancs en quête d’exotisme à Harlem. J’ai d’ailleurs parlé ici de Billie Holiday qui créait Strange fruit au moment où Adorno écrivait son texte.

Il n’empêche que son portrait des jazzophiles capables de disserter des heures sur tel accord ou tel son de saxophone fait mouche. Or Adorno stigmatise le goût de ses contemporains pour la « couleur ». Le timbre d’une voix suffit à faire son succès, sans égard pour la qualité technique des chanteurs (ou pour les titres interprétés) et le public répond de manière programmée au « fétiche » de certains accords ou telle couleur musicale, déjà connue et constamment recherchée.

« Le comportement perceptif qui prépare l’oubli et la recognition de la musique de masse est la déconcentration. Si les auditeurs sont peuvent écouter avec concentration les produits normalisés, désespérément semblables les uns aux autres, à l’exception de quelques détails signifiants, sans que ceux-ci finissent par leur devenir insupportables, c’est qu’ils ne sont plus capables, pour leur part, d’une écoute concentrée. Ils sont incapables de faire l’effort d’une attention plus aiguë. Ils s’abandonnent, comme résignés. »

Ces auditeurs sont donc victimes d’une mystification, et tout en accusant le système (capitaliste à l’évidence), Adorno ne les exonère pas de toute responsabilité si l’on en croit le ton qu’il emploie.

Car ces auditeurs n’ont même pas accès à un réel plaisir de l’écoute, seulement à son succédané. Faute d’une réelle écoute, et faute de compositions originales, ils n’ont accès qu’à des avatars industriels. Adorno valorise au contraire une écoute véritable, ouverte à la nouveauté, capable de saisir dans un concert la « spontanéité » de l’exécution et dans la subtilité de la composition un plaisir plus profond et plus réel. On tient ainsi tous les éléments de ce qu’il appelle « l’écoute régressive ».

Adorno réagit en esthète, et n’hésite pas à ériger son approche en standard. Mais ce faisant il met le doigt sur des problèmes et des travers que beaucoup de nos contemporains dénoncent tout aussi fermement. Autant dire que l’on n’a guère progressé depuis la rédaction de ce pamphlet, et l’apparition de nouveaux supports et de nouvelles formes d’écoute « inattentive » et « régressive » ont même fait leur apparition.

Curieux livre, un brin provocateur et ardu à lire par moments, mais utile et peut-être même indispensable.



Comments

2 Commentaires


  1. 1 Genghis on décembre 10, 2010 14:11

    Humpf,

    Bon l’article est assez équilibré,

    Contrairement au pamphlet d’Adorno qui ne fait - en gros - que plaquer une théorie kantienne de l’art sur l’écoute musicale. À l’heure de la sociologie, vouloir élever de telles pratiques - témoins d’une appartenance de classe - en une règle d’or ne parait pas très éclairant.

    Quant à la critique de la société capitaliste, pourquoi pas, mais de là à dire que c’est une révolution, certainement pas, les incitations normatives ont existé bien avant la société industrielle, qui n’a été le témoin que d’une accélération. L’accélération ayant aussi peut-être ses bons côtés, notamment le métissage…

  2. 2 arbobo on décembre 10, 2010 16:53

    salut Genghis,
    c’est pour le jazz, musique méprisée par Adorno, que je parlais de révolution.

    je ne crois pas en effet que les positions normatives soient très nouvelles, d’ailleurs je n’hésite pas à trouver adorno réactionnaire sur ce point. Marxiste et élitiste, ce n’est pas le moindre des paradoxes ;-)

    néanmoins il est frappant de voir les ressemblances entre certaines critiques qu’il énonçait en 1938 et la situation actuelle de la musique.

    sur les bienfaits de la vitesse, ma foi, nous sommes en train de nous écrire sur internet, donc oui nous serions mal placés pour la dénigrer ^^

Name

Email

Site web

Commenter

XHTML: Balises possibles: <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>


Subscribe

Tags

Archives

Par Date

Par categorie