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S, comme “sprechgesang”

par arbobo | imprimer | 29avr 2014

Grâce à Gainsbourg je peux crâner à l’aise et faire le mec qui écoute de la musique populaire tout en maîtrisant les finesses de la musicologie.

“Ouais, tu parles…”

Parler, c’est justement ce qui ajoute une touche indélébile dans un chef d’oeuvre comme “Girls and boys” de Prince. Parler, c’est que faisaient les inventeurs de la poésie en musique, le spoken word que certains se sont crus obligés de moderniser en “slam”. Il suffit d’écouter la plupart des morceaux d’un des plus grands génies musicaux des 40 dernières années, Gil Scott-Heron, et on comprend que “parler” peut avoir une immense musicalité. Mais le spoken word est scandé, hyper rythmé et accentué, il est bel et bien une première étape du rap, pas son ancêtre mais son début, une première version.

Le chanter-parler, ou sprechgesang (la même chose en allemand), c’est encore un tout petit peu différent. D’ailleurs en anglais, alors que spoken word existait déjà on a trouvé un autre mot: talk-over (parler “sur” la musique”).

Les nuances sont subtiles, d’ailleurs il n’est pas certain qu’on puisse toujours classer tous les morceaux facilement.
Le slam serait plus un récit où la voix n’est pas musicalisée, très peu. Sans tirer sur l’ambulance (Grand corps malade… ahem… fin de l’instant “grosses têtes”) on pense plutôt à de grandes plumes incarnées par de grandes voix, chez qui la poésie a autrement plus de gueule, de tripes, d’engagement, que ce soit Lydia Lunch (le punk par tous les pores) ou le poète Lawrence Ferlinghetti.

Dans le spoken word, dans le rock steady qui le précède ou le dub qui les suit, puis dans le rap encore après, c’est la rythmique qui prend le dessus. Aux USA, cette manière de mettre en son la parole peut s’appuyer sur le parler jeune en vogue des quartiers noirs dans les années 1960, le “jive”. Pas mal de films ont mis en scène de manière appuyée (et souvent caricaturale) le “jive talking”, comme dans Y a-t’il un pilote dans l’avion? ou avec Huggy dans Starky & Hutch. ça swingue, c’est extrêmement musical mais d’abord par le rythme.

Le chanter-parler, c’est un peu l’inverse. Bien sûr tout est question de nuance, le jive et le spoken word ne sont pas dénués de mélodie, et le sprechgesang n’oublie pas totalement le rythme. Souvenez-vous de vos cours d’anglais au collège-lycée. “L’anglais est une langue accentuée, contrairement au français”. C’est vite dit quand on pense aux méridionaux, qui accentuent et ont bien raison de le faire. Mais le français “classique”, le français bourgeois pour dire les choses clairement (c’est d’ailleurs celui que je parle, je ne met pas de jugement de valeur là-dedans), est très peu accentué et rythmiquement très plat. Comme la voix française sur l’inoubliable Fade to grey.
Voilà, vous commencez à avoir une idée du sprechgesang.

Sur l’échelle de Gainsbourg, comment retrouver nos petits dans cette cohue?
Laetitia, avec ses enchaînement rythmiques, tente vainement de lorgner vers la rythmique spoken word.
Dans l’album qui le conduit au pinacle, en plein milieu, L’hotel particulier est fait avant tout de cette parole lisse et a-musicale (sauf les refrains, brefs et chantés). Fauve, c’est fort, c’est beau, c’est plutôt dans cette veine là.
Donc voilà notre exemple-type, Gainsbourg, qui parfois chante, et parfois même lorsqu’il ne chante pas, fait quand même autre chose que du chanter-parler. C’est un peu fort de… café!
Le Requiem pour un con est déjà plus probant. La batterie est si puissamment rythmique qu’on a l’impression que le chant l’est aussi. Pas tant que ça. Les variations sont plutôt dans la hauteur des notes qui sont trop détachées les unes des autres pour former tout à fait une mélodie. Tout de même, on s’approche. Chez le groupe La femme, c’est assez prononcé aussi. Vous saisissez? Il y a quand même du chant. Un peu. Chez certains morceaux des débuts de Keren Ann on le trouve aussi ce chanter-parler. Et encore parfois avec les Rita Mitsouko, ou en solo

Mais voilà, sprechgesang, c’est un mot allemand. Les exemples ne manquent pas. Parmi les débuts de Nina Hagen. Ou chez un personnage incroyable, la véritable Christiane F dont les mémoires d’adolescente au fond du gouffre devinrent un film ébouriffant. En 1982, un an après la sortie du film qui raconte le début de son calvaire, elle publie un disque d’une beauté terrible : wunderbar. Vous en voulez du sprechgesang?
Allez-y, ça ressemble foutrement à un chef d’oeuvre, et n’oubliez jamais que cette femme ne fait qu’une courte escale entre deux séjours en enfer.



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