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Le jour où… j’ai enregistré un disque avec Loïc

par arbobo | imprimer | 12juil 2013

Ca commence un vendredi soir à la descente de l’avion, en 2012. Un peu grisés, quatre parisiens montent dans le taxi réservé pour eux, commentent, spéculent, font des plans sur la comète. En tirant leur valise dans le lobby de l’hôtel, une paire de rires les guide vers les responsables de leur venue.
Hilares et un peu éméchés, Loïc et son cousin Nico leur tombent dans les bras et leur racontent une semaine de joies et de déboires. La basse qui ne convient pas. Le coach vocal qui a failli faire capoter toute l’affaire, l’ingé son au taquet, le batteur de folie…

Bon, reprenons. Ca commence donc en 2008-2009. Loïc cherche des paroles. J’ai carte blanche. Je propose un puis deux, trois textes, plus ou moins carrés côté métrique. On en reparlera, parait-il. Je vais le voir à Manchester où il habite. J’arpente la ville, il me fait découvrir Liverpool et la Mersey. On en reparle. Il pense enregistrer ici, il a rencontré plein de musiciens, de chanteurs potentiels, ça se met en place tout doucement mais sûrement.

De toute façon, ça n’a pas de début, et on espère que ça n’a pas de fin. Ca a commencé in utero, puis nos doigts malhabiles posant le saphir sur les 33 tours de nos pères, lui à Bordeaux, moi un peu plus haut. J’ai 18 ans et des paroles, il a 18 ans et des notes plein les doigts, des chansons qui prennent forme dans sa musette. Mais on préfère parler foutchebôl et aller le vendredi soir au bar où, poussé l’un par l’autre, nous trouvons un peu de courage pour draguer des filles qui parfois veulent bien partager avec nous plus qu’un sourire coquin.

Il a fallu tout ce temps. A aller le voir au piano dans les concerts d’un autre. A chanter faux et fort sur des paroles idiotes griffonnées pour faire résonner l’amitié, ici à Hennezis, ou là à Brou. Dans la bande il finit par convaincre Alex de prendre la guitare, Cyril un clavier, et nous de venir applaudir et les encourager. Il est minuit et quelques dans le milieu des années 90, et chacun s’accroche de la main gauche à ses rêves en écrivant de l’autre des “lu et approuvé” et en signant nos premiers contrats d’embauche.

Dans nos caboches pas encore trop déformées par les bosses, un peu de poussière commence à ternir nos ambitions d’artistes qui auraient pu. Les amitiés se resserrent et les chemins se dessinent. Nos adresses respectives commencent à ressembler à un catalogue Air France, et les retrouvailles n’en ont que plus de prix.

Et toujours dans un coin, sous le tapis des habitudes, la certitude que ce qui ne s’est jamais fait finira peut-être un jour par arriver. Qui sait? Si jamais…

“Je me lance, j’ai trouvé un studio, des sicos, l’aventure commence!” Et nous d’encourager de loin, et de nous dire que ce serait tellement bien d’être une petite souris, tapie dans un coin du studio.
Alors que tout semblait bouclé, prêt à mettre en boîte, l’invitation tombe dans nos boîtes aux lettres : arrivez vendredi soir, tel jour, je nous ai réservé un hôtel pour qu’on bosse tout le week-end sur l’enregistrement de mes chansons.

C’était donc vrai. Le trajet, le parking, le prix déraisonnable des consos à Roissy, et cette odeur qu’on ne trouve que sur les tarmacs… Si ça sent le kérosène c’est que c’est donc vrai. On ne va pas si loin : Manchester. Ca n’est qu’une escapade, deux jours. Et ça n’est que notre ami et ses chansons, dont nous connaissons déjà certaines depuis des années. Il n’empêche, nous avons beau faire les cons dans la bagnole et nous installer dans la carlingue comme on monterait dans le wagon du métro, ça turbine dans la cafetière et ça tambourine dans les tempes. De pied en pied l’altitude grimpe mais ce n’est pas la bière de tout-à-l’heure qui nous grise.
Malgré nos airs de rien, un reflet dans le coin de l’oeil nous trahit, et l’impatience grandit.

On a gravé des accords sur la Mersey

C’est parti.
Nous avons quarante-huit heures avant de regagner l’avion et notre train-train. Quarante-huit heures chargées. Plusieurs titres à boucler, des solos à enregistrer, des paroles à retailler, des overdubs à caler, première prise, deuxième prise… Les doigts dans la prise, nous n’avons pas eu le temps d’être intimidés. En quelques minutes nous avons traversé le quartier zonard semi-désert qui nous sépare du studio Blueprint. Fred, co-propriétaire des lieux et ingénieur du son prisé, est toujours impassible, concentré. “Immarcescible” même, on a de ces mots qui nous viennent, pour mieux coller à l’étrangeté de ces instants ?

L’un des deux studios nous est réservé. Dans l’autre, des habitués des lieux se débrouillent quasiment seuls. Des mois plus tard nous entendrons l’album qui prend forme à deux mètres de nous : Dead in the boot. Le quintet Elbow est la plus grande fierté de Fred, mais il consacrera tout le week-end aux morceaux de Loïc. Du reste nous échangerons juste quelques saluts polis avec le groupe. Notre week-end n’est fait que d’instants volés, gagnés ou soustraits à notre ordinaire qui a si peu de rapport avec l’intérieur d’un studio, surtout un lieu où sont venus enregistrer et mixer aussi bien R.E.M, les Ting tings, Gorrilaz, I am kloot ou Lady Gaga… Mieux vaut rester silencieux, que trahir involontairement notre statut de clandestins, d’usurpateurs venus seconder en amis un vrai musicien.

Le temps a filé comme la nacelle du grand-huit dans la descente finale. Décoiffant. Enivrant. C’était un peu la folie la dedans, comme une mini tornade et Fred, dans l’œil du cyclone, toujours imperturbable. Tu vois j’ai ces paroles, le deuxième couplet sonne mal, tu trouverais à le rendre plus juste ? Heu… bon je suis venu pour ça, allons-y. J-C ne perd aucune miette et partage ses impressions avec le maestro au fur et à mesure. Cyril relit sa partition, encore et encore, avant de prendre le piano droit, puis le Nord Stage pour un autre morceau. Au même moment Alex est dans la cabine pour la troisième prise d’un refrain. Il en aura 4 autres à chanter, et deux parties de guitare qu’il connaît par cœur. Loïc se penche vers la console, glisse quelques remarques dans le micro, puis passe déjà à autre chose. Il faut trouver un son de cuivres sur ce clavier, et un de clochettes sur un autre. Le cousin Nico revient de la cabine où il aidait Cyril à prendre ses marques, et on est déjà en train de potasser d’autres sons, d’autres paroles, d’autres parties, il y a certainement quelqu’un qui sait ce que nous sommes en train de faire. Mais je me demande bien qui. Des abeilles dans la tête je sors avec J-C chercher de quoi déjeuner. Tout parait si calme au dehors.

Le temps de revenir et nous voilà à nouveau aspirés, on écoute un morceau pré-mixé d’une oreille tout en cherchant une chute de couplet de l’autre, l’un de nous compare des prises et un autre égrène nonchalamment ce qu’il lui reste à enregistrer.
Nonchalamment ? Nous le croyons presque, sur le moment. Alors qu’on n’aurait pas été plus speed si on avait vidé un baril de coke chacun. On a dormi. On a mangé. On n’a quasiment rien bu. Et quand à 5 heures Loïc nous met dehors pour mixer des morceaux en petit comité, nous voilà posés sur le trottoir le regard vide, le cheveu terne et l’enthousiasme en berne. Vidés. Rincés. Il nous faudra des semaines pour réaliser tout ce qui s’est passé dans cette bicoque en moins d’une journée.
Puis l’envie revient. Nous traversons le centre d’un pas leste, vers Oldham street. Nous furetons dans l’inénarrable Affleck’s palace et ses boutiques, ressortons les mains vides à notre plus grand étonnement, et choisissons enfin un pub. « Le » pub de la ville, son cœur historique, The old Wellington. Mais le clou du spectacle est ailleurs. Patience.
Nous avons l’adresse. Nous avons l’heure. Nous n’avons pas encore compris ce que c’est. C’est quoi cette église ? T’es sûr que c’est une église ? L’adresse est la bonne, on devrait entrer. Y’a marqué restaurant mais j’y crois qu’à moitié. Comme il fait froid nous finissons par entrer. Loïc est là, débonnaire. Un serveur vient nous présenter les viandes, toutes directement venues d’Argentine. Au fond de l’ancien choeur, des orgues magnifiques s’élèvent jusqu’aux voutes néo-gothiques. Après le temple du son, voici celui de la viande de bœuf. Même hors du studio, le bougre aura pris soin de nous surprendre et nous faire voyager.

Demain, nous remettons ça dès potron-minet. Claviers, guitares, paroles, chant… Nous sommes plus appliqués. Le rythme parait moins effréné, ce n’est sans doute qu’une impression. Le boss nous lâche à midi, on va déjeuner tous ensemble avant de remonter dans notre petit coucou à moteur. Comme hier soir à table, comme à l’hôtel dans nos chambres, nous rejouons la scène dans nos têtes. Tout le film repasse, lentement, au ralenti, de plus en plus lentement, leeentement, leeeeeeeeentement…

Epilogue

Ca clignote sur l’ordinateur, le compteur grimpe : téléchargement en cours, 31% effectués, 40%, 98%… Le premier choc : tu nous avais annoncé enregistrer 9 titres, coco. Pas 24 ! Les morceaux ont subi toute une série de transformation, certains dont Loïc m’avait fait écouter une version « finale » ont été remixés, les paroles réenregistrées.
Le maître de cérémonie est dans ses Alpes. Alors réunissons l’autre partie du crew. Les compagnons d’échappée belle, J-C, Cyril, Alex. Un verre à la main, nous faisons une première écoute collective. En quelques notes nous voilà replongés dans l’ambiance, on sent presque le grésil mancunien mais non, la fenêtre est fermée, tout ça c’est dans la tête. On sourit en reconnaissant la voix d’Alex. On commente les paroles de celle-ci, le solo de guitare de telle autre, on opine à l’arrivée d’une contrebasse… Et on commente, on commente, on réécoute et on papote, on conteste, on savoure, et plus rien d’autre n’a d’importance que ça, ce moment, être là ensemble et prolonger ces instants, si courts mais si particuliers, que nous allons radoter jusqu’à nos derniers jours et que nous devons à notre ami.

C’était en 2012, et nous avons participé à l’enregistrement d’un album.

Home (musique de Qoil, paroles de Arbobo)



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