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Susheela Raman, l’interview en v.f.

par arbobo | imprimer | 16fév 2010

Elle est bavarde, elle est passionnée et passionnante, gourmande de cultures et d’échanges, Susheela Raman.
L’anglo-indienne à la voix rauque, “l’hybride” comme elle se décrit, nous a fait un cours express sur les musiques du sud de l’Inde et les traditions tamoules.
Vous pouvez écoutez cette interview en version originale à cette page, mais la traduction ci-dessous devrait vous aider à ne pas vous perdre dans son débit incroyablement rapide. Qui n’est que le reflet d’un esprit en ébullition, en mesure d’expliquer finement ses idées et livrer un plaidoyer enflammé pour les dialogues des cultures.

Les photos, comme de juste, sont de Chrystèle (pas de ré-utilisation sans autorisation).
L’album Vel est disponible en numérique et en CD. Prochain concert à Paris le 9 mars, et en tournée dans toute la France.

Susheela Raman, en mission

/ Dans les musiques carnatiques, le tempo du chant est souvent très élevé…
(me coupant) Je voudrais faire une distinction, quand tu dis “carnatique”, généralement on entend par là le chant “classique”. Carnatique, c’est la culture d’une élite. La musique de Vel n’est pas celle-là, c’est la musique du peuple, elle n’est pas élitiste du tout. Je viens de la musique carnatique, c’est mon background, la musique avec laquelle j’ai grandi, mais la musique de Vel est plus celle des mésestimés. C’est une musique très extatique. Elle est plus populaire (”folk”).

/ Du coup comment as-tu découvert cette musique là?
Tout a débuté en 2002 environ. Je ne sais pas si tu as vu un documentaire d’Arte sur mes premiers voyages en Inde et mon travail là-bas. Au début je travaillais avec des musiciens carnatiques classiques. Mais dans cette session il y avait deux musiciens qui venaient du temple. Avec le temps j’ai réalisé que j’avais un lien avec eux, un lien plus intéressant. Il m’ont emmené dans un autre monde. Vraiment. Je suis sorti de ma bulle. Dans la musique classique, carnatique, on ne croit pas à la transe, tout est très mathématique, linéaire. Pour cet album, la musique dans laquelle je me suis immergée est pour la transe. C’est une musique d’élévation populaire (elevated folk), parce qu’elle est à la fois très technique tout en étant populaire, viscérale, d’humain à humain.

/ C’est très physique
Très physique, mais avec une dimension technique importante. La différence, c’est que dans la musique carnatique le chanteur communique avec Dieu, et le public regarde de l’extérieur. La musique folklorique, populaire, est plus démocratique, c’est une expérience horizontale. C’est cette musique qui a influencé ce disque.

/ A quel point était-ce difficile d’apprendre cette technique de chant?
Ca m’a pris des années. Depuis 2002 où mon voyage a débuté, où j’ai commencé à découvrir ce qui était caché, des choses dont on ne parlait pas, qui sont pratiquées par des gens plus pauvres. Mais j’ai eu la chance de rencontrer ces deux professeurs.

/ Qui sont-ils?
L’une s’appelle Kovai Kamala, c’est une chanteuse extatique très puissante, une chanteuse religieuse. Elle m’a pris sous son aile et m’a enseigné de nombreuses chansons. Elle m’a aussi emmenée au temple avec elle, c’était fascinant de chanter dans un lieu de culte. Mon autre professeur, quelqu’un de vraiment spécial qui est mort l’an dernier, était un vieil homme avec des dreadlocks. En Inde ce sont les saints qui portent les dreadlocks. C’était un musicien, mais il avait aussi une formation spirituelle particulière.

/ Ta musique est aussi très pop, beaucoup de chansons se prêtent même à danser, est-ce que c’était difficile de réunir ces deux univers?
Non parce que la tradition extatique tamoule est justement faite de danse. Vel, qui est le titre du disque, Vel c’est la lance, le symbole associé au dieu Muruga. C’est un culte qui est très proche de celui de Dyonisos, nous avons beaucoup d’influences grecques en Inde. Ce que font les gens, c’est qu’ils se regroupent dans un grand lieu de pèlerinage sur une montagne dédiée à Muruga. Les gens viennent un jour bien précis, et se mettent en transe, font l’ascension de la montagne, ils chantent, ils dansent, il y a une forme d’intoxication. Se perdre soi-même. Donc c’est très physique. Pour moi la spiritualité n’est pas déconnectée du corps, le corps est partie intégrante de l’expérience spirituelle. Je crois que c’est ce que cette musique transmet.

/ Outerindia, ce n’est pas exactement un club, c’est hébergé par le club Richmix, depuis quelques années c’est ça?
J’ai lancé Outerindia il y a environ 2 ans, mais les soirées régulières ont débuté en septembre dernier.

/ Qui vient à ces soirées?
C’est censé être un peu une communauté. J’ai toujours eu un problème en Angleterre, ma musique ne rentre dans aucun des genres, elle est difficile à catégoriser, les gens demandent souvent “qu’est-ce que c’est?”. Il n’y a pas de lieu, de référence. Ca a toujours été complètement “déplacé”. L’idée de Outerindia était de créer un contexte pour faire exister ma musique. Et pour que d’autres musiques non-conformes, qui pourraient avoir un lien avec l’Inde, se rassemblent.

/ Donc il y a un lien avec l’Inde, mais c’est très ouvert.
C’est très ouvert, extrêmement ouvert. Mais l’Inde est le fil conducteur. L’idée est de créer des liens avec d’autres communautés, d’autres artistes, les rassembler d’un une sphère partagée. Et ça marche plutôt bien. Pour la première en septembre, nous avons eu Dr Das, ancien d’Asian dub foundation, puis nous avons eu un chanteur mystique bengalais, et tous les amis de chacun sont venus, c’était complet. Et le public grandissait, la fois suivante nous avons fait venir des gens d’Inde, du Rajastan, et le public a encore grandi. C’est une communauté créative en train de grandir.

/ J’ai été frappé par les influences africaines dans certains morceaux, y compris dès le premier album Sal rain. Mais à la réflexion je n’aurais peut-être pas du être surpris, si je pense à fun-da-mental (groupe anglo-indien) qui utilisait notamment en 1995 des samples enregistrés dans des tribus d’Afrique.
Nous avons des influences africaines considérables. En particulier Sam, qui travaille beaucoup sur les rythmes. Avant de travailler avec moi il a notamment collaboré avec un musicien parisien d’Afrique de l’ouest, Toumani Diakité. Pour lui, et pour moi, des gens comme Fela Kuti, Tony Allen, ont été très importants. Tony Allen en particulier, il joue d’ailleurs sur le disque, la batterie de Vel undu. nous sommes considérablement influencés par des rythmes africains. Mais c’est lié aussi à la musique tamoule, il y a beaucoup de rythmes en 6/8 sur ce disque, ce qui peut donner cette impression africaine. Mais ce sont des rythmes très répandus, dans les musiques populaires on en trouve dans la musique celtique.

/ Je ne sais plus combien d’années tu as passé en Australie…
Mes années de formation, j’étais à l’école là-bas.

/ Je me demandais si tu t’étais intéressée à la musique des aborigènes?
Pas consciemment. C’est une musique shamanique et je la trouve fascinante à ce titre. Je me suis intéressée au Tuva, à la Mongolie, et leurs techniques de chant de gorge, et c’est une fois adulte que j’ai pris conscience de toutes ces superbes musiques aborigènes. Ca n’a pas été mon champ de recherche. Pour ça il faudrait aller sur place, passer beaucoup de temps dans des communautés aborigènes, pour apprendre vraiment. Il y a si peu de temps et je voudrais faire tellement de choses, j’ai déjà beaucoup à faire avec l’Inde (rires).

/ C’est pour cela que j’ai posé la question, parce que l’Australie fait partie de ton parcours.
Oui, mais adolescente j’étais trop occupée par autre chose, j’étais à fond dans le blues, le rock, Hendrix… C’est seulement plus tard, vers 21 ans, à partir de là, après mon retour en Angleterre je suis devenue vraiment curieuse. J’étais une ado très blues et très rock.

/ Tu as parlé des chants mongols…
Tuva surtout, tu sais, les chants de la république de Tuva, c’est extraordinaire. Un chant diphonique, avec des harmonies…

/ tu utilises presque cette technique sur Vanai kavil
Mmmm oui, j’expérimente des choses, mais je ne fais pas exactement la même chose, ce qu’ils font est vraiment très particulier. Je trouve les techniques diphoniques vraiment intéressantes. Tu m’as posé une question sur Kutle Khan (qui participe à ce disque ndli). Kutle Khan est du Rajastan, où j’ai passé pas mal de temps, et j’y ai rencontré un homme qui joue de la “narh flute”. Il produit une note avec sa gorge tout en jouant de cette flute.

/ On a parlé de Asian dub foundation, de Fun-da-mental, ce sont des groupes très impliqués politiquement. Est-ce que ta démarche, de mettre en valeur une musique populaire, à rebours de l’élitisme, est aussi politique?
Ca ne l’est pas de manière aussi évidente qu’ADF, ce qu’ils font est vraiment spécial. Je ne crois pas à… pfff… Il y a des traditions qui te dictent tes actions, Dieu est ici et ici et il faut emprunter le chemin indiqué par ses intermédiaires. Je ne crois pas à cela, Dieu est démocratique, Dieu appartient au peuple. C’est plus une déclaration. Un peu comme le rock, quand tu prends le rock des années 60, c’est une arène très démocratique. Avec des rapports très horizontaux. Cet esprit, horizontal, de partage, c’est ce que j’essaie de faire avec cette musique.

/ En parlant de rock, tu as fait des reprises magnifiques, sur 33 1/3, et j’aimerais te faire écouter une chanson, tu la connais peut-être, par un français d’origine arabe, Rachid Taha…
(immédiatement) The clash, rock the casbah.

/ Il l’a chantée de manière très rock, mais en arabe. Est-ce que tu aimerais reprendre en tamoul un morceau de Joy division ou un autre titre anglais?
Pas vraiment. Chez Joy division il y a une poésie qui serait intraduisible, les paroles sont très importantes. C’est très anglais. Une sorte de déprime du nord de l’Angleterre, une atmosphère, comme chez Mike Oldfield. Et la langue est tellement anglaise et déprimée, ça ne pourrait pas fonctionner en tamoul, ils ne comprendraient pas. Il y a le climat, quelque chose à voir avec l’air du temps de l’époque, c’est intraduisible, ça ne réfère à rien en tamoul. Ils ne connaissent pas le marasme (rire), ce serait impossible. La langue est quelque chose de spécial.

/ Est-ce que tu improvises en chant?
Non, ce n’est pas tellement une tradition d’improvisation, la musique classique plus. Il y a une petite part d’improvisation mais ces chansons ont en général une structure fixe. La plupart des chansons tamoules sont des déclencheurs de transe. Aller là-dedans, c’est rechercher ce moteur de transe, comment faire pour que ça fonctionne. C’est une partie de l’enseignement.

/ J’aime cette expression, moteur de transe, j’aimerais en avoir plus dans ma propre vie
(rires)

/ Tu expliquais la création d’Outerindia par la difficulté à trouver une place pour la musique que tu fais. Je me souviens dans les années 80, quand Peter Gabriel a commencé ses grandes tournées et créé son label, Realword (elle le prononce en même temps que moi), puis quelques années plus tard Massive attack a fait un disque avec Nusrat Fateh Ali Khan… Ca aurait pu rendre les choses plus facile pour des gens comme toi de trouver une place.
Pas nécessairement. Ce qu’il y a avec Nusrat -dieu le bénisse c’est un de mes plus grands héros- Nusrat restait quelqu’un qui vient du Pakistan. C’est différent pour moi, je suis de la diaspora. Je suis née à Londres. Je suis hybride. Ce qui est difficile c’est de trouver une place pour cette culture hybride. Le langage que j’essaie de créer, il est européen, mais il est indien, mais il est européen, mais il ne l’est pas… il est différent. C’est le parcours que d’autres personnes de la diaspora indienne de Londres et moi-même nous efforçons de poursuivre. Notre propre route.

/ On avait tout de même cet espoir que cela ouvrirait des portes, avec les années.
Realword, j’aime beaucoup de leurs disques et en vérité j’ai rencontré mon mari, Sam, par leur intermédiaire. Mais c’est de la “world music”, c’est encore un ghetto, c’est encore “autre”, ce n’est pas la culture dominante, mainstream. Mon combat et celui d’autres artistes de la diaspora, en tant qu’artiste hybride, est de faire accepter cette musique comme partie intégrante du paysage de la culture européenne contemporaine. Pourquoi cette musique serait-elle moins pertinente que celle de PJ Harvey, ou de Radiohead, ou que sais-je encore.
C’est ça mon combat. Il y en a qui veulent être sur la carte, faire partie du paysage, dire aux gens “c’est pertinent dans la culture d’aujourd’hui”. Ce n’est pas juste une musique que vous pouvez reléguer comme “autre” et la mettre dans un coin reculé du magasin de disque. C’est tout l’enjeu avec Outerindia, l’inscrire sur la carte, dire “C’EST aujourd’hui”. Comme avec le label Studio one, les vieux reggae. The Clash a énormément emprunté à Studio one. Studio one est devenu la langue du reggae, c’est devenu une monnaie de l’échange musical en Angleterre. Parce que c’était d’Angleterre. Ca ne s’est pas encore produit avec l’Inde.

/ Ca te donne une grande responsabilité. Trop?
(rire) C’est une lutte qui bénéficiera aux générations futures. Ma démarche est inclusive, elle participe de l’échange culturel. Le truc avec la première génération… Talvin Singh. Quand Talvin est arrivé, il faisait des choses extraordinaires, il travaillait avec Sun Ra, il travaillait avec Björk, et il innovait tellement. Et il a été un pionnier de cette première vague appelée “asian underground”. C’était le tout premier mouvement mené par de jeunes anglo-asiatiques. Malgré tout, le langage musical auquel il empruntait restait classique, du monde de l’élite. Cela n’allait pas au-delà d’un certain point. Ma théorie, c’est que ce sont les rythmes folkloriques, populaires, qui réaliseront le crossover, la vraie fusion. comme en Amérique. Regarde les racines du rock’n'roll.

/ le blues
Le Blues ! Et la Nouvelle Orleans, ces groupes vaudou haïtiens, les réprouvés du blues. Ca venait d’un folklore qui a voyagé depuis l’Afrique, puis a infusé en Amérique. Peut-être que maintenant, ces rythmes folkloriques d’Inde sont ceux qui feront la traversée.

/ Une dernière question alors. Tu envisages de prolonger Outerindia en label, ou organiser des festivals peut-être?
Tout à fait. Le label Outerindia est déjà une réalité, Vel est sorti par le label. Ce serait super qu’il grossisse, on a débuté par des soirées, mais ce serait fabuleux de faire des festivals en Inde, en Europe…

/ Merci Susheela
(elle éclate de rire) merci à toi, je parle beaucoup trop !



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